Scott est assis sur le siège du bureau. Moi, je suis par terre, totalement abasourdi. Je ne pleure plus, mais je n'y crois pas. Je ne veux pas y croire.
Si quelqu'un rentrait dans le bureau, il pourrait penser à une violente dispute. Les feuilles éparpillées au sol. Les yeux bouffis par les larmes. Les corps étalés par terre ou sur le bureau. Et moi qui me tiens la tête si fort que j'en ai mal au crâne.
Mais personne ne rentre. Scott relève la tête et me regarde. Je fuis son regard, et fixe le ciel à travers la fenêtre. Puis je lui demande :
– Pourquoi ?
– ...
– Pourquoi tu n'es pas venu m'aider quand je suis tombé ?
– Je...
Il se redresse, s'adosse dans le siège. Puis il continue :
– Ce jour là, j'avais...
Il dit non de la tête, et reprend.
– Il faut que tu saches que j'avais retrouvé la trace de ma mère. Et que je l'avais contactée. Et qu'elle m'avait répondu. Et qu'elle m'avait dit qu'elle viendrait me voir.
Il cherche mon regard, mais je fixe toujours la fenêtre, obstinément, et je cherche une forme dans le nuage que je vois.
– J'étais heureux. C'était étrange, parce qu'en fait, j'allais revoir celle qui m'avait abandonné. Mais j'avais vraiment envie de la connaître. Et qu'elle sache ce que j'étais devenu.
Il se mord les lèvres.
– Elle est venue, mais avec un mari, et surtout... avec trois enfants.
J'ouvre grand les yeux, mais continue de regarder le nuage. Il ressemble à un épée.
– Tu te rends compte ! Elle nous a quittés, mon père et moi, sous prétexte qu'elle n'avait pas envie de sacrifier sa carrière avec un enfant, et derrière ça, elle en fait trois avec un autre gars !
Oui je me rends compte. Mais j'attends la suite.
Il se met debout et s'avance vers moi. Puis s'assied à un mètre de moi par terre.
– Putain je t'aime Mick. Mais ce jour là...
Il respire un grand coup.
– Ce jour là, j'étais totalement dans mes pensées pendant le ski. Ça faisait trois jours que ma mère était venue. J'ai piqué une crise en haut de la piste. Je t'ai même aperçu. Je m'en souviens parce que je me suis dit : "Il a l'air heureux." T'étais aussi blanc que la neige. T'avais l'air d'être un ange.
Il prend mes mains. Je ne fais rien, mais j'apprécie quand même le contact.
– Je sais pas si tu te souviens. Mais ton père est tombé. Et toi tu as continué à descendre. J'ai attendu que ton père reparte pour pas le gêner. Et j'ai fais un tout schuss (*). Je pleurais. Avec le flou que créait mes larmes... Toi qui étais blanc, sans contraste sur la neige... Je t'ai pas vu.
Il rit nerveusement.
– Je t'ai pas vu parce que je pleurais. Alors que les garçons, ça pleurent pas, hein ? Les larmes floutaient tout autour de moi. Et quand je t'ai heurté, c'est à peine si je l'ai senti. C'est ton cri qui m'a alerté. Je me suis stoppé net, et j'ai regardé en arrière. Et je t'ai vu passer le surplomb.
Il me regarde. Il a les yeux en larmes. Il imagine la scène non plus avec un inconnu, mais avec celui qu'il aime.
– Je suis allé un peu en hors piste pour te voir. Et je ne t'ai pas retrouvé. Alors je suis parti...
Il laisse un silence. Le nuage se déforme avec le vent, et prend la forme d'une goutte d'eau. Il continue :
– PARTI ! J'ai pas eu le courage. Ni la force. Je me suis écroulé en bas de la piste. Et j'ai pleuré. J'ai attendu de voir le traîneau des sauveteurs pour m'en aller.
Il se colle à moi.
– Désolé Mick... Désolé.
Son discours m'a ému. Mais en même temps blessé. Comment laisser quelqu'un seul alors qu'il a besoin d'aide ? Je lui cherche une excuse...
– T'étais pas dans ton état normal quand... c'est arrivé, dis-je.
Il me regarde plein d'espoir. Je continue :
– Tu m'as détruit quand tu m'as fait tomber.
Il baisse la tête.
– Mais d'un autre côté, continué-je, sans toi, je ne me serais jamais reconstruit. À l'heure qu'il est, je serais certainement en train de ruminer ma vie sur mon lit.
Et c'est vrai. Il est mon bourreau et mon bienfaiteur. De quel côté penche le plus la balance ?
Il sourit faiblement. Je continue :
– Moi... Je n'étais plus capable d'aimer. Mais tu m'as appris. Maintenant, crois moi, je t'aime, Scott. Je t'aime de tout mon cœur. Le psy... il disait n'importe quoi. Et toi, tu as gaffé. Une grosse gaffe, mais rien n'est irréparable.
Je souris moi aussi et reprends :
– Tu m'as réparé, Scott. Tu as réparé un gars qui ne savait plus comment se relever.
Je décolle enfin mon regard de ce nuage. Je plonge son regard dans le sien, et serre ses mains.
– Alors... tu as ta réponse. Oui, l'amour peut surmonter cette épreuve.
En le regardant, je vois une tâche sur son sourire, à cause de la persistance rétinienne due au nuage. Le nuage avait la forme de son sourire.
– Accepterais-tu ce baiser ? Lui demandé-je.
Son sourire prend l'apparence d'une grande banane. Je prends ça pour un oui, et j'attrape ses lèvres avec les miennes.
Voilà. C'est comme ça que j'ai connu le baiser le plus amoureux que l'on a pu faire.
(*) Tout schuss : quand on descend une piste tout droit, en prenant un maximum de vitesse.

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Bim Bam BOUM !
Novela JuvenilAprès une chute de ski, Mick est triste. Trop triste. Et il est seul. Trop seul. C'est Scott qui va l'aider. [Série Lycée Rimbaud]