16. Changement de plan

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– Eh Scott ? Qu'est-ce qu'on fait ?

– Ben, là, on roule, me répond-il étonné.

– Oui, mais tu sais ce qu'on fait ? Je veux dire rouler vers la liberté comme ça ?

– Euh...

– On est en train de fuguer.

– Ah ? Oui... Ouais, c'est vrai.

Il lève la tête. Regarde-t-il toujours la route ?

– J'aurai jamais pensé faire ça un jour, ajoute-t-il.

On fugue. On dois être bien loin de mon village maintenant. On est Dimanche, je devrais être chez moi, seul, en train de ruminer sur ma vie. Mais je suis à vélo, avec Scott, en train de créer notre avenir.

Sauf qu'on a fait ça sur un coup de tête. Qu'on a pas de quoi se nourrir. Et que je commence à crever de faim.

– Scott. J'ai faim.

Il tourne la tête pour me voir. Il me dit que lui aussi. Alors on s'arrête, et on va dans une boulangerie.

Vrrr. Vrrr. Vrrr. Mon téléphone vibre. Je décroche à contrecœur :

– Maman, je suis avec Scott, je te l'ai déjà dit. Je suis en train de m'acheter à manger.

Elle fait tout un monologue dans le téléphone, comme quoi je devrais être à la maison, que j'ai rien pour survivre dehors, que j'ai cours demain, que je suis fragile d'esprit. Je raccroche précisément à cette phrase, parce que je me sens fort. Scott est avec moi, il m'aime, je l'aime, et c'est comme ça qu'on avancera.

On achète deux croissants et deux baguettes de pain. Il ne nous reste plus que deux euros, alors on se dit qu'on va peut-être rentrer, si on veut pas mourir de faim.

Ce sera une mini-fugue. Mais très une mini-fugue très amusante !

On fait demi-tour, mais on sait plus par où on est arrivés, alors on suit des panneaux. On voulait pas fuguer, mais juste se sentir libres. Ou vivants. Ou s'aimer. Ou avoir quelque chose à raconter quand on sera plus grands. On sait pas pourquoi on a fait ça. De toutes façons, faut qu'on rentre parce qu'on a rien pour survivre dehors. Ma mère a raison sur ce point là.

Cette fois, c'est moi qui vais pédaler. C'est pas parce que je suis tout maigre que je peux pas faire de sport. Scott se met à l'arrière, et me tiens les côtes. Sentir ses mains sur mon torse me donne envie de lui faire plaisir, alors je fonce à toute allure. Et on avance, on avance, on avance... On avance si vite, que j'ai peur de tomber.

Je ralentis un peu. Scott lâche mon torse d'une main pour se recoiffer.

– Mick, tu te rends compte que mon père ne s'est même pas préoccupé de mon absence ?

– Ah bon ?

– Non, pas un coup de téléphone, pas un message, pas une inquiétude.

– Il s'est peut-être pas réveillé ?

– T'as vu l'heure ?

– Ben quoi, moi je dors bien jusqu'à onze heure des fois.

Il rit. Je souris. Je sais pas trop où on est, si c'est loin ou pas de ma maison. Par contre, mes mollets sont en feu. On tangue un peu, comme je force sur chaque pédale.

– Ça va Mick ? Tu veux que je pédale ?

– Je suis pas si faible ! Je vais y arriver !

– Très bien, dit il sur le ton de "tu vois bien que tu galères !"

Je ralentis encore l'allure. Et je me demande pourquoi on a tant voulu partir. Et je pense que c'est parce qu'on est tous les deux oppressés par des problèmes. Pour lui, c'est son père et son amante qui s'aiment sans l'avouer à Scott, pour moi, c'est ce connard d'Antonin, que je ne veux pas retrouver Lundi, cet abruti de psy que je ne veux pas voir le mois prochain, mes imbéciles de parents qui me prennent pour un gamin, et tous les autres pour qui je suis transparent. En fait, les fugueurs veulent juste se créer une nouvelle vie, plutôt que de la rêver simplement. Et c'est triste de devoir tout quitter pour tout créer. Triste.

Je commence à vraiment galérer à avancer. Alors je m'arrête en bord de route et on inspecte le vélo. Pneu crevé. Fantastique.

Il ne nous reste plus qu'à appeler nos splendides parents.

Youpi.

Scott sort son portable, et commence à appeler quelqu'un.

Je regarde le pneu en écoutant la conversation de Scott : "Allô ? Marie, c'est Scott." Marie ? Ça doit être une de ses amies. "Oui oui, ça va. Écoute... euh... ça te dérangerait de venir nous chercher mon copain et moi ? En voiture, oui. Ben tu as ton permis, non ? Non, je ne te fais pas confiance, mais c'est un cas d'extrême urgence. Je t'expliquerai en route, promis. On est sur la route D620 près de Fontaine-sur-Gué." Il me lance un grand sourire. "Merci beaucoup Marie !"

Il raccroche :

– C'est tout bon, elle est là dans un quart d'heure.

– On fait quoi en attendant ? lui demandé-je.

– Je sais pas...

Il me fait un méga sourire trop grand pour sa tête. Mais ça reste un beau sourire.

On est dehors, en bord de route, de l'autre côté, un champs, derrière nous, une petite forêt. Scott me prend la main, m'emmène dans la forêt.

Puis il m'embrasse, le cou, la bouche, le front. Je sens du feu dans mon bas-ventre. Et je lui enlève son tee-shirt et il fait de même avec ma chemise bien trop grande. Et on attend Marie en faisant l'amour, dans les bois, contre un hêtre. Et on est heureux de tout notre être.

Bim Bam BOUM !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant