J'entends nos pas, unis dans la nuit. Je sens le vent, qui ébouriffe nos cheveux. Je vois le seul endroit du village qui a réussi à me faire rire, sourire, et rêver.
Mon petit coin est enseveli sous les arbres, depuis le temps que je n'y suis pas allé. Je décroche quelques branches de lierre qui obstruent l'entrée.
Ces ruines, elles se situent sur un petit bout de forêt qui n'appartient à personne. Mon père m'y avait construit tout un atelier de fabrication. C'est ici que je créais de petites machines. L'établi est toujours là, sous la fenêtre sans vitre creusée dans la pierre de cette vieille maison. Scott entre dans mon antre. Il regarde partout autour de lui. Il y a des tas soigneusement rangés : métaux, ficelles, bois, électronique. Et des vieilles inventions qui jonchent le sol.
Et dire que j'ai tout abandonné...
– On est où, là ? me demande-t-il
– Dans mon atelier.
– Ah bon ? Tu y fabriques quoi ?
– Plus rien. Je...
Je ne vais pas lui dire la vraie raison. La tristesse de cette chute qui m'empêche de créer. Je finis donc par dire :
– Je n'ai plus le temps.
– C'est bête, dit-il en prenant une ébauche de jouet.
C'est le début d'un petit chien en bois, qui avance tout seul quand on le remonte avec une clé.
– Oui... Je crois que ça me manque.
– Tu crois ? Moi je pense que t'en es sûr.
C'est vrai. J'en suis sûr. J'aimerais retourner ici, et refaire tourner les mécaniques des ressorts, pistons et engrenages. On m'a toujours dit que j'avais un talent pour ça. Quand ceux de mon âge fabriquaient une enceinte pour leur portable avec une boîte de roquefort (*), moi je faisais des schémas, des croquis, et je passais à la construction de petits jouets, ou de presses-oranges pour me faire du jus. Oui, j'ai envie d'y retourner. Mais ma créativité a disparu.
Scott me sourit en jouant avec un avion en métal. Je me souviens que j'avais galéré à faire les trous pour y fixer les ailes. Il me demande s'il peut le garder, je lui dis que oui.
On dirait un grand gamin, il fait le vrombissement du moteur avec sa bouche. Je le regarde un instant.
Vais-je un jour reprendre tout ceci ? J'ai l'impression d'avoir laissé une partie de moi ici, et qu'elle m'attend. Mais combien de temps pourra-t-elle m'attendre ?
Puis on décide de rentrer. Il a caché l'avion dans son bonnet (enfin, mon bonnet) qu'il tient à la main, pour ne pas que son père ne le prenne pour un enfant. Même si je pense qu'il en est un. On se remet à courir, vite, très vite, et essoufflés, on arrive devant le portail. Scott, avant de rentrer, me questionne :
– Je peux avoir ton numéro de téléphone ?
– Euh... oui... rétorqué-je étonné.
– Parfait.
Il sort son téléphone tandis que je me dis que c'est la première personne depuis deux ans au moins, qui me demande mon numéro spontanément.
– Tiens, dis-je en lui tendant mon portable sur lequel est affiché mon contact.
– Nickel, je t'envoie un message, marmonne-t-il en prenant note.
Mon portable vibre, et je reçois un SMS : "Yop, c'est Scott." J'enregistre son numéro, et on entre.
Nos parents discutent toujours, mais nous disent que Corentin et Scott vont bientôt s'en aller. Alors on va dans la cuisine, où l'on s'assied sur les plans de travail. Scott sort l'avion de sa cachette et me rend mon bonnet. Puis il me demande :
– C'est quelle heure ?
– 22h22.
– Tu sais ce qu'on dit ?
– Non ?
– C'est l'heure où on peut faire un vœu, me répond-il tout sourire.
– Ah bon ?
Il lève le petit doigt, ferme les yeux. Il les rouvre dix secondes plus tard, et me dit : "moi c'est fait." (Franchement, qui fait des vœux en levant le petit doigt ?) Je ferme à mon tour les yeux, et je fais le vœu de ne pas perdre contact avec Scott. Puis je lui souris et lui dit : "moi aussi."
Mais pendant que je fermais les yeux, l'heure est passée à 22h23. Scott me le fait remarquer, et je lui dit que de toute façon, je ne crois pas trop en ce genre de chose. Ce qui est un peu faux.
Puis on entend des bruits de couverts, et les parents arrivent dans la cuisine, pour débarrasser. On les aide, puis dix minutes passent avant les "aux revoirs." Je vois Scott qui attend un peu que son père s'éloigne avant de reprendre le petit avion, de l'enfourner sous son tee-shirt, et de rejoindre son père en courant. Avant de sortir, il me fait un clin d'œil.
Une heure plus tard, je reçois un message de Scott me disant qu'il est rentré, et que l'avion est sur sa table de nuit. Je m'endors heureux d'avoir rencontré quelqu'un comme lui.
(*) l'auteure parle en connaissance de cause. Elle ajoute aussi que cette idée est une arnaque.
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Bim Bam BOUM !
Fiksi RemajaAprès une chute de ski, Mick est triste. Trop triste. Et il est seul. Trop seul. C'est Scott qui va l'aider. [Série Lycée Rimbaud]