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Keryan

Les doigts toujours entrelacés, je me remémore avec peine les souvenirs de mon passé. J'ai déjà pu évoquer mon ancienne vie à une seule personne, Khena la mère de Blaze. Depuis ce jour, Khena a su m'écouter attentivement et m'enseigner pour que les erreurs du passé ne se reproduisent plus.

La jeune femme qui se trouve à côté de moi, me regarde de ses yeux violacés. Elle semble calme et curieuse, attendant simplement que je lui parle un peu plus sur ma vie. J'en connaissais suffisamment sur elle, de par ses nombreuses venues dans le laboratoire de sa mère. J'ai pu voir en elle, une jeune femme pleine d'ambition, qui a la faculté d'apprendre très rapidement, au plus grand bonheur de sa mère. Elle était aussi têtue et fière et détester ne pas avoir le dernier mot.

Je souri en constatant que je peux aussi facilement détailler certains éléments de sa vie. C'était une des raisons pour laquelle je n'avais rien contre le fait de me livrer à cette femme.

Mais il est vrai que lorsque je la voyais étudiée dans le laboratoire, maintes et maintes fois j'aurais voulu avoir une discussion avec elle. Discrètement je l'observais et remarquer parfois qu'elle faisait de même.

Je me retourne pour lui faire face. Elle recoiffe ses longues mèches noires, et me regarde attentivement.

— Comme j'ai déjà pu vous le dire à l'auberge des lames, j'habitais autrefois dans la ville de Movhrige dans le continent du sud. A cette époque je venais de sortir de l'école des Chevaliers de l'Aurore, une organisation très respectée.

— Pour quelle raison êtes-vous entré dans cette école ?

— Pour pouvoir éviter de perdre une nouvelle fois ceux que j'aime, vous n'êtes pas sans savoir que dans certaines contrées les elfes ne sont pas acceptés, ce qui mène...

— De perdre une nouvelle fois ceux que vous aimez ... ?

Je fronce les sourcils, serrant mes poings tout en cherchant à stabiliser ma haine soudainement apparue. Les cris perçants de ma jeune sœur résonnent encore dans ma tête. Elle hurlait que je lui vienne en aide, mais j'étais impuissant, retenu par nos agresseurs.

— Ma sœur et ma mère ont été enlevées par des trafiquants de créatures magiques. Certains mages pensent que les elfes ont des puissantes vertus pour L'alchimie. Ils m'ont obligé à assister à la scène, j'étais jeune et je ne pouvais rien faire, j'ai seulement réussi à m'enfuir... je les ai abandonnés.

Je sens immédiatement des bras autour de moi et une délicieuse odeur de Lila. Je la laisse me caresser tendrement le dos, j'en avais besoin. J'enfouis mon visage au creux de son cou, sentant un peu plus son délicieux parfum et place mes mains autour de sa taille l'étreignant plus fortement contre moi.

— Keryan ce n'est pas de votre faute, ne vous blâmez pas pour cela.

— Pour éviter que cette scène ne se reproduise je suis entré dans cette école, pour m'endurcir, pendant six années je me suis entraîné, en sortant de l'école j'ai cherché à stopper un maximum de trafiquants, sans n'avoir jamais retrouvé ma sœur et ma mère, mais j'ai fondé par la suite ma propre famille.

A ma révélation elle lâche directement son étreinte et s'écarte légèrement de moi pour m'analyser du regard, je sais bien que cela risqué de la surprendre.

— Je suis tombé amoureux d'une femme nommée Fhylia, avec qui j'ai eu une fille, Alyh. Nous vivions dans une grande maison au cœur de la ville de Movhrige. Fhylia était la fille du Duc de Moren, notre union était mal perçue de ma nature, elfe. Elle, était une simple humaine pleine de vie.

— Était ... ?

Mon coeur se serre alors par réflexe je détourne les yeux, regardant le sol. Les images de la femme dont j'étais tombé amoureux, étendue sur un lit, défilent dans ma tête. Elle gisait là, inerte. Seuls deux petits trous rouge sur son cou signé l'acte de sa mort.

— Elle est morte par un vampire alors qu'elle rendait visite à sa sœur au village voisin pour présenter notre fille à peine née. Personne n'a retrouvé ni Alyh ni la sœur de Fhylia... j'ai cherché de nombreux mois sans rien avoir trouvé, une année plus tard j'ai changé de continent abandonnant mon passé.

— Je suis navrée...

— J'avais été envoyé en mission à ce moment là, si je les avaient accompagnées, j'aurais pu les sauver... 

— Arrêtez dont Keryan ! Vous ne pouviez pas prévoir ce qui allait arriver pour votre femme et votre fille ! 

— C'est ce que votre mère m'a répété sans cesse, j'ai mis du temps à accepter ce qui s'est passé, je ne remercierais jamais assez Khena pour cela.

— J'ignorais qu'elle avait été d'une telle aide, et dire que je venais tous les jours au laboratoire sans même vous accordez le moindre mot.

Elle baisse sa tête, visiblement déçue, ses cheveux noirs s'engouffrent sur son visage pâle. Je serre ses mains, à ce geste elle relève timidement sa tête.

— Vous êtes là, à présent.

Blaze me regarde silencieusement, c'est d'ailleurs bien la première fois qu'elle me scrute avec autant d'intérêt. Naturellement elle entrelace nos doigts avant de s'avancer, se plaçant à quelques centimètres de moi. Je ressens des picotements au bout de mes doigts, cela faisait un long moment que je n'avais pas ressenti ça.

Son front contre le mien, elle vient de fermer les yeux serrant plus fortement nos doigts. Je regarde silencieusement ses lèvres avant de m'y approcher doucement et d'instinct je laisse mes lèvres se déposer sur les siennes. Elle n'émet aucune réticence, au contraire, ses doigts se placent contre ma nuque qu'elle frictionne tout en accentuant notre baiser. Puis sûrement en réalisant ce qu'il se passé elle recul pour finir dos à moi.

— Désolée, je ne voulais pas...

— Non, c'est ma faute, je...

— Ah vous voilà ! Je vous cherchais.

Je relève la tête pour voir Nesmé entrer dans la pièce. La jeune femme aux longs cheveux roux se place devant moi. Elle porte une longue robe soignée d'une teinte verte. Son attention se porte sur Blaze qui vient de prendre dans ses bras son familier, Isil, avant de plonger ses iris noisette dans les miennes, un bref instant, suffisant pour faire battre rapidement mon coeur.

— Mon père souhaiterait vous parler, il n'est pas... vous devriez faire vite.

— Très bien, nous vous accompagnerons

Je regarde à nouveau Blaze qui n'ajoute rien. Elle se redresse pour faire face à la princesse avant de prendre une petite boîte dans sa sacoche. Nous sortons un à un en suivant Nesmé à travers les longs couloirs du château. D'ailleurs je constate qu'aucun bruit ne résonne, rendant l'atmosphère mortuaire. Certaines personnes que nous croisons tiennent dans leurs mains des bougies faiblement éclairées. Un geste d'affection que les sujets du Roi apportaient.

Le Chambellan nous accueille d'un maigre sourire. L'état de santé du Roi s'est nettement dégradé, et il n'en avait malheureusement plus pour très longtemps.

Derrière lui, le Roi Edmund laissera le trône du Royaume du Nord entre les mains de son hériter. Nous entrons dans la chambre royale, l'obscurité qui y réside donne un décor lugubre.

Je remarque du coin de l'œil Castiel, son visage montre qu'il est lui aussi, profondément attristé. Le Roi fait signe à Blaze de se rapprocher de lui, après s'être retourné pour m'observer un instant elle s'approche timidement.

Je regarde la femme aux cheveux de jais s'agenouiller aux côtés de l'homme souffrant. Elle tient entre ses mains une petite boîte en bois. Ses doigts tâtonnent avec insistance la matière lisse. Tendant son oreille, l'homme lui chuchote quelques mots que je ne peux discerner.

Je sens soudainement que l'on m'agrippe la main, tournant le visage j'aperçois Nesmé se postant à mes côtés. J'ignorais la signification de ce geste mais, en ce jour sombre, la princesse ne demandait que de l'affection et du soutien. J'ai également resserré son étreinte.



Les Chroniques de l'EnchanteresseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant