Alice's Inferno (TERMINÉ)

Décrépitude

Je ne me fais pas prier pour allumer ma clope et rentrer en trombe dans le restaurant, mon épée posée sur mon épaule. Je remarque qu'il est entièrement désert. Quelque chose cloche. Sûrement une embuscade. Je reste attentive au moindre mouvement, au moindre son, au moindre changement de pression dans l'atmosphère. Que voulez-vous que j'aperçoive quoi que ce soit dans cette chaleur étouffante? Je ne le dis pas pour rester élégante, mais depuis le début, je crois que j'ai vu deux litres d'eau s'évacuer de ma peau. Il faut que je me réhydrate très vite sinon ça va mal finir. Je fais timidement tinter les pièces dans ma bourse tout en regardant autour de moi.
- Hé oh? Y a quelqu'un? J'ai de l'argent.
Absolument aucun mouvement. Je repars et constate que le petit village entier est bien calme. Aucun mouvement. J'étais au moins sûre qu'il y avait des démons résidents dehors.
- C'est quoi ce bordel? demandé-je à voix haute.
Le silence complet. Tout ce que j'ai vu avant semble s'être volatilisé. Je retourne à la maison du Chapelier. Vide aussi. Je pousse un soupir et frappe violemment un miroir. Celui-ci se brise et ma main se retrouve ensanglantée.
- Qu'est-ce qui se passe ici? Pourquoi j'suis toute seule?
Le décor semble fondre, comme s'il voulait couler. Tout devient flou et disparaît. Je me retrouve à flotter dans le rien pendant quelques instants avant que des murs verdâtres et décrépis n'apparaissent. La pièce est plutôt petite et fondamentalement vide. Il y a juste un fauteuil au centre, celui où on vous sangle les poignets. Il y a également une porte. J'y cours. Fermée. Un nuage de fumée noire apparaît brièvement avant de prendre une forme que je connais. Le Maître des Lieux. Je fronce les sourcils et la défie du regard.
- Vous allez me dire ce que vous foutez là?
- Tu as choisi, Alice. Le chemin que tu veux emprunter n'existe pas. Alors je choisis pour toi.
- Vous commencez sérieusement à me faire chier avec vos histoires de choix. J'ai pas choisi d'être ici, je vous signale.
Les yeux du Maître des Lieux prennent alors une couleur pourpre. Elle fond sur moi à la vitesse de l'éclair et me prend les cheveux. Je crie en m'accrochant à son bras.
- Voyez-vous ça? Tu en veux une bonne? Moi non plus. J'étais une humaine que l'on qualifiait de... "déséquilibrée". En m'enfermant dans mon monde, j'ai dû lutter contre mon propre esprit. Et après, j'ai tellement voulu y croire que je me suis retrouvée dans cet enfer. Quand je suis arrivée, on m'a enfermée. On me torturait tous les jours. Des coups de fouet, de griffes acérées, de couteau... J'étais incapable de mourir mais je ne vivais pas vraiment non plus. Au bout de quelques semaines, je me suis endurcie et j'ai tué mes agresseurs. Il s'est passé alors un truc incroyable. J'ai reçu des pouvoirs. Je les ai utilisés contre ceux qui voulaient me garder en cage. Et plus je tuais, plus mes pouvoirs s'amplifiaient. Mon corps subissait aussi des transformations pour que le pouvoir que j'emmagasinais soit contrôlable et pas trop puissant pour mon petit corps tout frêle. Et voilà où j'en suis. Plus personne n'ose me défier ici.
Je lui balance un crachat à la figure tout en expulsant ma haine à travers mes yeux, oubliant complètement la douleur.
- Personne sauf moi. Moi aussi je connais l'histoire. Une petite fille qui s'enferme dans son imaginaire pour échapper à la réalité. Elle rencontre un beau lapin blanc, un lièvre brun, un chat qui sourit, une souris colérique et un chapelier fou.
Elle sourit et me lâche. Je tombe à genoux en la regardant.
- Tu ne crois pas si bien dire. C'est pour ça que je te laisse faire. Nous avons beaucoup de choses en commun, toi et moi. Je m'appelle Alice, moi aussi, tu te souviens?
- Moi c'est Alice Hudgeson, mais vous le savez déjà. Et vous, c'est quoi votre nom?
- Aygrim. Alice Aygrim.*
J'écarquille les yeux. Ce nom me rappelle vaguement quelque chose. Oui, je crois me souvenir...

*ndla: Alice Aygrim est l'héroïne d'Alice et le Gardien de fer.