Volonté paresseuse

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  Je passe les portes et la chaise semble être guidée sur un rail. Un couloir étroit s'offre devant moi. Le siège s'arrête et des pointes me transpercent les mains et les pieds. Je hurle de douleur et la chaise reprend son chemin. Devant moi apparaissent des scies circulaires qui s'agitent. J'écarquille les yeux et m'agite en aggravant mes blessures. Et dire que ma main n'est même pas encore rétablie. Mais le train infernal s'arrête de lui-même et je sens qu'on me souffle sur la nuque. Je tourne ma tête vers la source de cet étrange évènement. Un jeune homme meurtri me sourit et du sang coule entre ses dents. Il semble incrusté dans le mur mais arrive à avancer son corps. Je me recule par instinct et plisse les yeux en reconnaissant l'ombre monstrueuse.
- Adam?
Il me sourit avidement et m'observe.
- Bonjour Alice. Tu as bien grandi!
Il plisse aussi les yeux et son expression faciale change.
- Un pantalon? Pas de talons? Tu n'as donc pas retenu mon enseignement?
- Je n'ai rien à apprendre de toi, tu as fait de moi une prostituée quand j'avais quinze ans espèce de salopard. Et tu sais quoi? J'adore emmerder les codes et le paraître. Ce qui fait de moi une femme n'est ni dans mon look, ni dans les choix que je fais. Ce qui me définit en tant que femme, c'est mon caractère, mes putains de menstruations. Mais toi tu t'en fous pas vrai? Ce qui fait femme chez moi c'est mon gros cul et mes nichons. Peut-être même mon clitoris, qui sait? Et tu veux que je t'avoue un truc? Mon vagin est extrêmement étroit en cet instant précis! rajouté-je en passant ma langue sur mes lèvres.
Un pieu en bois me traverse soudainement l'épaule. Je reste une demi seconde sans réagir avant de hurler et de m'agiter sous l'effet de la douleur.
- Ne joue pas à ça avec moi, Alice. Au fond de moi, j'ai toujours su que tu cachais ta véritable nature sous une pile de paresse.
Je serre les dents et m'applique pour ne pas pleurer de douleur. Je vois le sang commencer à couler le long de mon bras. Pas bon du tout.
- À toi de prouver que tu veux te débarrasser de ta paresse, maintenant. Si tu ne le veux pas, je crains que tu ne meures, découpée en petits morceaux. Réveille-toi ou repose en pièces!
Son rire me glace le sang tandis que le siège reprend son chemin. J'aperçois au loin les deux scies perpendiculaires qui m'offriront une mort digne des abattoirs les plus glauques. La première scie m'entaille la joue et poursuit son chemin jusqu'à mon oreille, laissant une grande plaie sanglante. Je hurle et tente de ne pas trop bouger, de peur d'empirer les choses. Des larmes roulent le long de mes joues et tandis que mes cris résonnent dans le couloir, la scie suivante accomplit déjà son devoir en me tailladant l'épaule gauche. Avant d'arriver à la troisième, je réussi à avoir une pensée lucide. Tandis que la lame me taille la cuisse, je regarde en bavant les dernières scies.
- Allez, réussis-je à articuler, t'en as pas marre d'être une carpette? Bouge-toi le cul, Alice!
Je tire de toutes mes dernières forces sur mes bras. La peau se déchire petit à petit et plus je hurle, plus je tire fort. Je réussis, au prix de pas mal de peau laissée, à me libérer les bras, malgré la douleur lancinant à l'épaule droite dans laquelle est planté le pieu. Avec autant d'acharnement et un prix similaire, mon dos se détache du siège. Je roule sur le sol sans vraiment me contrôler et je regarde machinalement le siège se faire déchiqueter par les scies. Puis, je regarde mes mains sur lesquelles les trois couches de peau ont tout simplement disparu. D'un oeil nauséeux, je remarque une petite lueur dans le mur. Je m'y précipite autant que faire se peut et serre les dents lorsque j'appuie dessus. Une nouvelle Chambre de Foi se dévoile alors et Miséricorde est présente, comme si elle m'attendait. Elle me montre un tas de vêtements. Une robe bleue et des bottines noires à talons.
- Est-ce que tu vas être paresseuse encore une fois? demande-t-elle.
Je la dépasse sans même lui répondre et plonge mes mains, en serrant les dents, dans la fontaine avant de boire le contenu de mes mains. J'apprécie tout particulièrement cette gorgée. La douleur disparaît et même le pieu se retire sans me picoter. Hélas, mes vêtements sont dans un état lamentable. Je retire mes vêtements et enfile ceux que Miséricorde m'a désigné.
- Sais-tu pourquoi je t'ai emmenée ici? Pas seulement pour me sauver...
- Tu voulais que je combatte mes démons personnels? Que je surmonte les choix que j'ai faits par le passé tout en les assumant?
- Le siège t'aurait libérée si tu avais fait abstraction des commentaires d'Adam.
Je soupire et m'assois sur le petit banc en pierre qui orne la pièce. Je regarde une nouvelle fois mes mains. Un doigt est en train de pousser à la main gauche, mais vu que je me suis blessée à nouveau, ça va prendre beaucoup plus de temps. Ah, et je suis sourde d'une oreille aussi. Quelle magnifique journée!
- Ce n'est pas un rêve, n'est-ce pas?
- Si c'était le cas, une telle douleur t'aurait réveillée.
Je me relève et accroche mes armes à ma nouvelle tenue.
- Je peux te poser une question? fait Miséricorde.
- Dis toujours?
- Si tu es vraiment paresseuse, pourquoi ne pas te laisser faire? Pourquoi ne te fais-tu pas tuer?
- Je ne suis pas paresseuse à ce point... J'ai envie de me battre. J'ai envie d'envoyer chier toutes ces conneries et de foutre une bonne dérouillée au Maître des Lieux.
Je prends prudemment le visage-écran de Miséricorde entre mes mains et mon reflet me révèle une fille aux frontières de la folie avec des cheveux blonds presque rouges et tout secs.
- Tu sais pas le plus drôle? Je commence à apprécier tout ce sang. Imagine... tuer quelqu'un qui t'a fait du mal, c'est tellement... réjouissant. T'en as encore envie davantage... Comme si tout ça t'envoûtait et que tu t'amusais avec ses boyaux uniquement pour voir l'expression qu'il aura à tout jamais, figée dans le temps...
- Tu veux devenir le nouveau Maître des Lieux?
Je cligne des yeux de surprise et m'avance un peu.
- Peut-être, avoué-je.
- Tu avances bien.
- Vraiment? J'ai l'impression de patauger, personnellement.
- Tu es à la moitié du quatrième Cercle. Tu auras bientôt fait la moitié du chemin.
J'affiche une mine déconfite.
- C'est quoi le prochain?
- La Tentation.
- Ça ne m'a pas l'air si terrible.
- Comparé à celui-ci, ce sera du gâteau. Celui-ci met en avant tes démons personnels, Alice. C'est pour cela qu'il te semble si dur.
- De toute façon, je crois qu'on peut pas faire pire niveau glauque que la Gourmandise.
Elle affiche un petit rictus crispé.
- Attends d'être arrivée à la Phobie.
Je souris aussi, mais nerveusement, puis m'endors doucement sur la pierre froide en chantonnant un petit quelque chose.

Alice's Inferno (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant