Retour au bercail

8 1 0
                                    

Elle se reforme après un court instant et tourne vers moi une tête furieuse. Elle plante son ongle dans ma poitrine. Je hurle de douleur.
- Tu es une idiote, Alice. Tu n'as pas pu me battre avec des pouvoirs, tu ne pourras pas le faire sans. Tu aurais pu repartir.
- Désolée... j'ai toujours été une tête brûlée...
Je lui coupe le bras et me mets en garde.
- Et puis... je te pardonnerai jamais!
Elle sourit tandis que son bras se reforme.
- Parfois, il vaut mieux pardonner que punir, réplique-t-elle en souriant.
Je soutiens son regard. J'échange quelques coups avec elle. Sa force est bien supérieure à la mienne. Mes blessures ne se referment pas. Une griffure sur le bras, un bleu sur ma joue... Ça s'accumule... Mes bras se font lourds... Mes impacts diminuent. Je tombe à genoux, essoufflée, couverte de blessures, probablement défigurée.
- Si tu voulais mourir, il fallait me le dire. Je t'aurais tuée sur-le-champ.
Je fronce les sourcils et lui enfonce mon épée dans sa tête et réussis à la plaquer au sol.
-  Bienvenue dans MON Enfer, salope!
Mon sang se déverse le long de ma lame et touche mon ennemie. Cela a pour effet de la brûler. Je l'entends hurler. Elle se débat mais je maintiens fermement mon épée sur sa tête. Elle crie de douleur et je souris de la frustration qu'elle a de ne pas pouvoir articuler un mot. Après quelques instants, son visage fond entièrement et son corps s'immobilise. Je m'effondre à côté d'elle, épuisée. J'entends une douce musique. Celle d'un oscilloscope... Ma vue se trouble. Je souris. Une voix réussit à me parvenir avant que je ne sombre. Alice...

*
**

  Je me réveille dans un lit tout blanc. Je regarde mes mains. Une pince est mise sur mon index gauche. Un tube transparant passe dans mes narines. La télé fait un bruit de fond qui me rassure un peu. Un pot de fleurs et posé sur ma table avec une petite carte à mon attention. La personne à ma droite ne regarde comme un animal encore inconnu. Je l'évite et soupire.
La porte de la chambre s'ouvre et un médecin cinquantenaire à lunettes suivi de deux infirmières arrivent et affiche une mine surprise en me voyant.
- Alice? Tu es révéillée?
Je fronce les sourcils.
- Euh... oui? balbutié-je. Que se passe-t-il?
Il s'approche de moi et passe son stéthoscope sur ma poitrine.
- Rythme cardiaque régulier.
- Docteur, s'il vous plaît, dites-moi ce qu'il se passe.
Il se penche sur moi et me regarde d'un air grave.
- À vrai dire, ça fait six mois que tu es dans le coma... personne ici ne pensait que tu allais te réveiller.
J'écarquille les yeux et m'agrippe à sa blouse.
- Six mois? Mais... qu'est-ce que j'ai?...
Il baisse d'un ton et soupire.
- Tu... Tu as eu un début de cancer, Alice. Il s'est subitement aggravé. Nous t'avons prescrit un médicament ainsi que la chimiothérapie et tu es tombée dans le coma lorsque ton cancer est passé en phase terminale. Ton père a insisté pour te garder en vie.
J'ai un mouvement de recul.
- Mon père?... Il ne s'est jamais vraiment occupé de ma condition...
- Je sais, il me l'a dit... Mais il t'aime, Alice. Il est ravi... dans ton coma, tu lui as dit que tu lui pardonnais.
Je souris un peu.
- Ouais... J'ai traversé un véritable Enfer, souris-je.
- Il m'a dit que tu rêvais d'être chanteuse. Seulement, tes cordes vocales ont été salement touchées. Je ne pense pas que tu puisses rechanter un jour.
Je regarde dans le vague avec un air triste.
- Je vois...
- Je vais te faire passer quelques examens. Il faut que je sache quel est ton état exact.
Après une ennuyeuse et trop chiante à décrire série d'IRM, j'attends sur une chaise en tremblant.
- Ça alors! fait le médecin.
- Quoi?
- Tu es... guérie. Totalement guérie...
Je regarde les résultats en écarquillant les yeux et les compare avec ceux que j'avais en entrant à l'hôpital, six mois auparavant.
- Comment c'est possible? demandé-je.
- Je n'en sais rien, avoue-t-il. Mais je ne vois aucune raison de te garder ici. Tu pourras sortir dès demain.
J'acquiesce et m'apprête à retourner dans ma chambre, mais je me retourne.
- Docteur?
- Oui?
- Est-ce que j'ai parlé de ma mère ou d'une amie qui s'appelle Lilia?
- Oui, tu en as parlé. Ta mère est décédée il y a trois mois, suite à un infarctus. Pour ton amie, je ne sais pas. Mes sincères condoléances.
Je soupire, les larmes aux yeux.
- Merci...

Deux mois plus tard...

Lilia... sa tombe était là, parmi les autres, pas loin de celle de ma mère. 1993 - 2017. Décédée suite à un accident de la route.
Je soupire et un frisson me parcourt l'échine.
- Je suis désolé, pistache.
Je sursaute et remarque mon père qui sourit tristement.
- J'ai tout fait pour la sauver.
Je jette un regard à la tombe de ma mère.
- Moi aussi je suis désolée, réponds-je en prenant mes épaules, l'estomac noué.
L'automne venait d'arriver, le vent balaie les feuilles mordorées tombées sur le sol.
- Je n'aurais pas dû autant t'en vouloir.
Il m'observe et je le regarde avec quelques questions dans la tête.
- Tu as dû vivre des moments épouvantables dans ton coma, dit-il.
- Comment tu le sais?
- Je le vois dans tes yeux. Tu as mûri. Beaucoup. Qu'est-ce que tu as vu?
Je frotte mes épaules et frissonne.
- L'Enfer.
Il penche la tête et ses yeux ont l'air de vouloir poser plein de questions.
- Dis-moi, Alice...?
Je le regarde en laissant le vent me brosser les cheveux.
- Tu ne voudrais pas me chanter un petit quelque chose?
Je l'enlace en pleurant et en serrant le paquet de cigarettes qui traînait dans ma poche avant de le relâcher sur le sol. Aucune phrase au monde n'aurait pu me rendre plus heureuse. Ni plus triste.

Alice's Inferno (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant