Liens du passé

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Je me souviens de cette femme qu'on a internée à Londres. Ça avait fait la une des journaux. Une femme déséquilibrée, écrasée par son propre monde qui ne se rendait pas compte qu'elle tuait des personnes à tour de bras. Je me souviens du témoignage de sa mère. La femme se disait désorientée, qu'elle avait pourtant donné une bonne éducation à sa fille, qu'il n'y avait aucune raison pour qu'elle s'enferme dans un monde oppressant et glauque. Elle était issue d'une famille aisée, la Alice et vivait carrément dans un palace. Mon Pays des Merveilles à moi, c'est cet Enfer et contrairement à l'autre connasse, c'est pas un monde où je me réfugie pour échapper à la réalité. Cet endroit EST ma réalité.
- J'ai entendu parler de votre cas, dis-je. Vous êtes la femme qui a été internée à Londres.
- J'ai juste été guidée par le Chapelier. Il me disait quoi faire.
Je plisse les yeux et la regarde d'un air blasé.
- Moi il ne m'a rien dit du tout et je massacre tous ceux qui se foutent sur ma route. Il m'a juste dit de porter ce chapeau moche.
Elle sourit et plante ses ongles pointus dans ma joue. Je hurle de douleur quand elle déchire ma peau, ses ongles heurtant le zygomatique* gauche. Quand elle m'arrache la peau, je hurle davantage avant de tomber sur le sol, le visage ensanglanté. Elle retire mon chapeau et le fait brûler d'un seul coup.
- Je t'en débarrasse, ne t'en fais pas. Maintenant écoute-moi bien. Tu sais que c'est ton Enfer alors tu vas probablement deviner, mais ce fauteuil est fait pour toi. Si tu refuses de t'y asseoir, je veillerai à torturer ton esprit si intensément que tu supplieras pour être mon esclave pour l'éternité.
- Vous avez un problème, faut vous soigner.
Elle se dirige vers la porte et m'invite à regarder par la vitre. Je me relève et écarquille les yeux. Je vois ma mère, poignets attachés par des chaînes qui pendent au plafond. Des pointes perforantes s'approchent d'elle de chaque côté, de différentes hauteurs. Je frappe frénétiquement contre la porte en hurlant.
- Non! Arrêtez ça! Laissez-la partir!
- Il ne tient qu'à toi de choisir.
Je m'effondre sur le sol et commence à gratter le bois de la porte avec mes ongles. Je m'acharne sur la porte, enfonçant mes ongles dans le bois. Ceux-ci commencent à s'arracher mais je continue, ignorant la douleur et le picotement incessant de mes doigts.
- C'est pas comme ça que tu changeras les choses, commente Alice.
Je fronce le sourcil et la regarde avec des yeux de colère, si bien que des larmes en coulent.
- Toi, la ferme!
Je prends mon épée et l'abats sur elle. Malheureusement, elle disparaît au dernier moment pour se retrouver derrière moi. Je savais très bien que ça ne marcherait pas mais bordel, ça me soulage.
- Tu ne peux m'atteindre quand tu es noyée sous ta colère.
Je me relève, misérable et incapable de répliquer quoique ce soit d'intelligent. Je pars m'installer dans le fauteuil et Alice m'y attache. Les piques rotatives s'éloignent petit à petit de ma mère. Je souris et ferme les yeux. Ma dernière pensée va pour ma mère avant que je ne m'évanouisse sous les coups et les taillades de scies possédant de petites dents.

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Je n'ai jamais vraiment parlé des relations que j'entretenais avec ma mère, donc c'est difficile de créer de l'empathie pour elle ou un enjeu pour moi (vous enguelerez l'auteur plus tard) mais j'étais loin de la détester. On avait un rituel, elle et moi: chaque semaine on allait au cinéma, une sortie entre filles pour se raconter ragots et commères et se promettre monts et merveilles. Même quand j'ai emménagé avec Lilia, on a gardé cette habitude. Et puis, qu'êtes-vous prêts à faire pour secourir la personne qui vous a mis au monde? Pour ma part, ne serait-ce que pour qu'elle soit fière de moi, je subirai toutes les tortures que m'offrira cet Enfer. Si je ne me réveille pas, j'aimerai vous remercier de m'avoir suivie et encouragée. Je sais que je suis une chieuse, parfois. Ça fait de moi une fille normale, non? Ça fait du bien de se confesser, vous savez. Je n'ai pas vraiment choisi ma vie. Je me suis prostitué**, je me suis laissée faire et j'ai attendu patiemment que les gens qui me trouvaient quiche me marchent dessus pour mieux les prendre à revers et leur foutre un bon gros doigt d'honneur dans le...
*ndla: os situé sous l'oeil
** on n'accorde pas les verbes pronominaux quand se signifie "à soi-même" ou "l'un à l'autre", "les uns aux autres"...

Alice's Inferno (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant