Alice - ecilA

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J'ouvre la porte avec la clé dans ma poche et entre dans une nouvelle pièce plutôt sombre. Miséricorde l'éclaire de sa... phosphorescence spectrale? Appelez ça comme vous voulez. Elle se tourne vers moi.
- Il serait temps d'affronter tes péchés, Alice.
- Salut, Lilia, dis-je en soupirant. Tu m'avais presque manquée.
- Ne fais pas la maligne. Ici, ce n'est pas TON royaume.
- Peut-être. Mais c'est MON Enfer. Et j'suis prête à parier que mes péchés vont être énumérés par un valet complètement abruti par son amour pour la Reine de Coeur et que celle-ci criera un joli "Qu'on lui coupe la tête!" à mon attention quand mon cou reposera sur le billot.
Je me plante devant Miséricorde et la défie du regard.
- Moi aussi, je connais l'histoire. Sauf qu'ici, je ne vais pas me réveiller au pied d'un arbre et tout ne rentrera pas dans l'ordre. Je suis ici contre mon gré et je suis obligée d'avancer. Quels que soient le sang que je verse ou la douleur que je ressens. Je me bats pour rentrer chez moi, te serrer dans mes bras et te faire chier avec mes manières grossières et mon désordre.
- Le monde ne tourne pas autour de toi, Alice Hudgeson. N'oublie pas que moi aussi j'ai fait des sacrifices. Regarde ce que je suis devenue.
- Un esprit au look douteux et bipolaire, réponds-je en esquissant un demi sourire.
Elle rit en retour.
- T'es vraiment trop conne.

*
**

  Pourquoi je suis devenue une rebelle? Je crois que je supportais pas trop que mon père se fasse dorloter alors qu'il en foutait pas une à la maison. Résultat, je n'ai eu qu'une demi-éducation. Et ma mère savait pas trop s'y prendre avec les enfants. À dix ans, j'ai commencé à faire des crises. Ma mère, incapable d'affirmer son autorité cédait à tous mes caprices. Très vite, c'est moi qui suis devenue celle qui commande. Le problème: ça m'est toujours resté et en cours, je tenais tête à mes profs. Résultat: visites régulières chez le directeur et administration d'un psychologue à domicile. Puis, plus tard, j'ai traîné avec des gens peu fréquentables, vous connaissez. Mes camarades m'avaient affublé du charmant sobriquet suivant: Alice Hudgefolle. Ou encore Asile la Débile. Pourtant, à dix-huit ans, j'avais arrêté toutes mes conneries. J'avais trouvé un sens à ma vie dans la musique et les textes. Je m'étais mise à chanter. Et le premier truc que j'avais écrit, je l'ai chanté. Si fort car j'étais si fière, je l'ai chanté au nez des professeurs. Si bon que c'était de le crier à tous les camarades qui, du doigt me pointaient. Je me sentais belle, je me sentais de bonne humeur. En faisant profiter mon organe vocal, je m'étais libérée. Cette chanson que j'ai écrite résonne encore aujourd'hui dans ma tête, comme un combat personnel qui me pousse à avancer...

Alors leur Enfer à la con, moi je sais où ils peuvent bien se le fourrer...

*
**

Elle vous salue bien, la petite fille
Qu'elle a grandi, qu'elle est jolie
Celle qu'on montrait, l'appelant débile
Elle est revenue de son asile

Pour poser sur vous un présage
Sa voix n'est pas vraiment un mirage
Vous pouvez bien examiner
Mais vous tomberez à mes pieds

Elle est sauvageonne, la petite fille
Son père regarde pendant qu'elle s'habille
Et tandis que je chante pendant des heures
J'oublie toutes mes vieilles rancoeurs

Pour vous délivrer un message
L'oiseau va sortir de sa cage
Allumez la radio, la télé
Vous pourrez m'entendre chanter

Maintenant, que pensez-vous de la petite fille?
Méritait-elle vraiment toutes ces moqueries?
Voici le prénom de toutes merveilles
Alors ouvrez vos oreilles

Je suis devenue cigale
Mais la fourmi a le Graal
Pour l'avoir, je vais chanter
Pas la peine de me dire de danser

  - Tu écris de jolies paroles. Dommage que tu aies un caractère merdique, commente Miséricorde.
- J'ai pas besoin de tes conseils pour vivre en société.
- Toute façon, tu les suivras pas.
Alors que nous avançons, je n'ai même pas remarqué qu'on a quitté la salle sombre pour une autre. Une odeur infecte vient me déranger les narines. Un mélange de moisissure, de mort et de sang.
J'observe des tubes disposés en deux rangées symétriques le long de la pièce. Dans ces tubes, de la bouillie d'humains mêlée à une mixture verdâtre. De ces tubes partent des tuyaux couleur sang que j'examine rapidement comme étant des intestins. Sur le mur du fond, en hauteur, collé contre la paroi, se trouve un visage bouffi sur une moitié de buste féminin. De ce buste partent les tripes qui plongent dans les tubes et nourrissent cette... chose? Oui, bon, me jugez pas hein. Je remarque rapidement la chevelure blonde du visage ainsi que ses yeux gris.
- Vous êtes qui? je demande.
- Ça se voit pas, abrutie? Je suis toi.
- Vous êtes moi?
- Ou plutôt ton péché. Je suis Ecila.
- Comment j'ai pu devenir comme ça?
- Ton passé est couvert de gourmandise. Je ne suis plus qu'un système digestif vivant. Quoique je ne digère pas vraiment. Mon ventre n'était plus assez solide pour contenir toute la nourriture. Du coup, il a explosé.
J'affiche une tête blasée et je soupire.
- Donc je vais devoir t'... euh... m'affronter?
- Il n'y a pas pire ennemi que soi.
Je lâche un petit rire.
- Tu ne peux même pas bouger.
- Moi, non. Mais au fil des ans, les types dont je me suis repue ont obtenu des parasites créés dans la moisissure.
Les volets de la salle ouvrent alors sur une armée de morts-vivants dépossédés de leurs organes, mais cherchant à sortir d'une sorte d'aquarium géant.
- Bordel de...
Les vitres se baissent et l'armée est ainsi relâchée sur moi. Je suis avec moi-même et contre une armée entière. Jamais je ne me suis sentie aussi seule.

Alice's Inferno (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant