Nouveau Cercle, nouveaux déboires

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Au bout du long couloir monotone se trouve un gigantesque complexe aux couleurs violacées. J'entends des hurlements de foule. Ce que je découvre me laisse sans voix: des millions d'âmes errantes possédant un corps charnel décharné se précipitent vers une espèce de sénat. Ils ont tous l'air de supplier le retour de quelque chose. Les six colosses de pierres gardant les marches suffisent à retenir cette foule. Certains se traînent des chaînes qui pénètrent dans leur peau, tirant pour arriver un jour au bout. Beaucoup se marchent dessus, des enfants pleurent, des mères crient et des pères râlent.
Tandis que je me faufile tant bien que mal dans cette marée, j'entends les suppliques des damnés. "Qui va nous protéger, maintenant que notre roi est mort?" "Hérétiques! Vous avez corrompu le pouvoir! Nous ne sommes plus à l'abri!" "Le Maître des Lieux n'est qu'usurpation et calomnie! Une calamité!"
Apparemment, ce sénat a prévu de se la couler douce et d'approuver la tyrannie mise en place par Alice Aygrim. Je sais pas trop quel bordel elle a foutu dans cet Enfer, m'est avis que ce n'était pas si différent avant qu'elle ne vienne. Mais bon, juste pour le plaisir de lui rabattre le caquet, je lui foutrai une de ces dérouillées...
Parmi les nombreuses bâtisses qui entourent le sénat, je repère un magasin de miroirs en tous genres. Je m'observe dans l'un d'entre eux: visage bouffi par les contusions dues à mon précédent combat, cheveux secs et raides à cause du sang qui a coulé dessus, mon maquillage s'est fait la malle depuis belle lurette et mes lèvres sont gonflées. Je ressemble à une toile de Picasso. Je souris tristement et secoue la tête.
Je me balade dans les rues, arpentant les différentes enseignes, regardant ce que je peux trouver susceptible de m'aider. Je trouve un hôtel volumineux, loin du centre. Je décide d'y rentrer. La réception est classe et plutôt accueillante contrairement au reste de cet Enfer. Les réceptionnistes ressemblent beaucoup à des humains. Seules leurs cornes les trahissent. Quand ils me voient, ils me sourient et m'accueillent chaleureusement. Ils sont tout de même surpris de mon état lamentable.
- Mademoiselle Hudgeson? demande l'un d'entre eux en s'approchant de moi.
Il est plus grand que moi, a des cheveux noirs en brosse gominés, de beaux yeux bleus et un costard-cravate fraîchement sorti du pressing.
- Euh oui?
- Oh! Tsulut'yun nous a avertis de votre venue. Il ne nous a pas garantis que vous viendriez, mais je suis content de voir que vous êtes toujours en vie.
- Heu... merci?
- Venez, je vais vous montrer votre chambre. Je ne voudrai pas paraître grossier, mais je pense que vous avez besoin d'une douche.
- En effet, mais... je n'ai pas de quoi payer...
- Ne vous inquiétez pas pour ça, nous savons tout. Nous sommes du peuple, nous exigeons que ce gouvernement mis en place par le Maître des Lieux prenne fin. Nous ne voudrions pas vous mettre des bâtons dans les roues, cela nous est aussi bénéfique, vous savez.
Il m'emmène dans les couloirs de l'hôtel, me fait prendre un ascenseur et me guide à travers le douzième étage à ma chambre, la 1274. J'y découvre une somptueuse suite, finement et richement décorée. Sur la table en bois verni, j'observe un plateau de fruits qui m'ont l'air en bien meilleur état que ceux proposés par les reines, ainsi que du scotch dans une bouteille en verre à côté d'un verre vide. La chambre comporte un lit tellement grand que je pourrais m'y noyer et une salle de bains dernier cri.
- Vous pouvez vous reposer ici autant que vous le souhaitez. La sortie du Cercle est cachée sous le sénat.
Il quitte la place et je m'assois dans le confortable sofa en cuir brun disposé bien en évidence. Je regarde par la fenêtre du séjour toute la foule qui s'agglutine autour du bâtiment et je fronce les sourcils.
- Quelque chose cloche. Tout ça n'est qu'un piège, j'en suis persuadée.
Je me sers un verre de scotch et y trempe mes lèvres.
- Bordel, c'est du quinze ans d'âge.
Je souris à cette découverte et le laisse sur la table tandis que je me dirige dans la salle de bains en laissant tomber mes vêtements, les uns après les autres. Je suis en totale extase quand le jet déverse sur moi son eau chaude. Je passe mon corps entier sous cette rédemption salvatrice. Il y a du savon et du shampoing, prêts à servir dans un coin de la douche. Je m'en saisis et frotte énergiquement. Le sang que j'ai accumulé et qui a séché disparaît peu à peu dans le siphon. Quand j'en ressors, j'ai comme une nouvelle peau. Ça a eu l'effet d'une deuxième naissance. Je rejoins ma chambre et ouvre les commodes et armoires: tout est rempli de vêtements. Il y en a tellement que si on en mettait un de plus, on ne saurait plus où le ranger. Tout est classé par ordre de couleurs et de types de vêtements. Les jupes là-bas, les robes ici, les pantalons plus loin... il y a aussi cinq tiroirs se superposant remplis de chaussures. Sandales, ballerines, bottes, chaussures à talons, chaussures sans...
Je replace une mèche de mes cheveux désormais propres derrière mon oreille.
- C'est quoi cette blague? fais-je.
C'est quoi ce paradis infernal, sérieusement?
Je vous jure, depuis le début, je me suis habituée à toutes les conneries qui me tombent dessus et là... c'est presque trop beau pour être vrai. Et si, comme l'a dit le barman dans le Cercle de la Paresse, c'était ma vérité actuelle? Si cette aide n'était rien d'autre qu'un poison?
Je me rhabille en enfilant un short plutôt petit, des sandales plates rouges et un tee-shirt bleu nuit avec une tête de lion. En fouillant un peu dans les meubles de la chambre, j'y trouve des épingles et autres élastiques. Je me saisis d'une épingle à cheveux et attache ceux-ci en un chignon. Je reprends un gorgée d'alcool.
On toque soudainement à ma porte. Je pose mon verre de scotch et pars répondre. C'est le réceptionniste qui m'a montré ma chambre qui est là, tous sourires.
- Excusez-moi mademoiselle Hudgeson, j'ai oublié de vous donner quelque chose.
Il me tend une vieille clé rouillée et tordue. Je m'en saisis et l'interroge du regard. Il m'explique qu'il s'agit de la clé d'une malle située sous le lit. Curieuse et après l'avoir remercié, je décide de jeter un oeil à ce fameux conteneur. Je le déloge et l'ouvre. À ma grande surprise, il n'est vraiment pas vide. Des paquets de cigarettes, soigneusement rangés et empilés, tous neufs se trouvent dans cette malle aux trésors. J'en pleure de joie et prends une brassée de paquets pour m'en doucher, tellement j'en suis ravie. Je nage dans les paquets tombés au sol et pour fêter ça, je pars chercher mon paquet ouvert et m'en grille une. Je la savoure en remplissant à nouveau mon verre de whisky. Ce que c'est bon...
Je reste des heures durant à me reposer, me divertir et profiter de cette pause, comme si c'était un gage de reconnaissance de mon avancée.
La nuit tombe sur cette ville. Les simulacres de plaintes justifiées ne cessent pas, les gens continuent à s'agglutiner devant le sénat, fiers de protester contre le sénateur. En me renseignant un peu à l'hôtel, j'apprends qu'il s'agit d'un type nommé Humpty Dumbty, quelqu'un de très amer et pas vraiment fréquentable. Après un énième verre, je m'endors paisiblement sur le sofa.

Alice's Inferno (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant