Voyage intérieur

4 1 0
                                    

Je grimpe sur le Loir en prenant garde à ne pas tomber et avale une goutte de cette étrange mixture marron qui a un bizarre goût de fraise. Je rétrécis comme annoncé, jusqu'à n'être pas plus haut qu'un demi pouce. Je me tiens sur le rebord de la mâchoire de l'animal et regarde sa gorge sanglante avec dégoût. Je saute en me bouchant le nez - et je ne sais pas pourquoi je fais ça, un réflexe sans doute - à l'intérieur. Je glisse le long de sa trachée et tombe (encore) jusqu'à son estomac. Une chute vertigineuse et absolument pas adaptée à ma taille. J'atterris sur une gigantesque montagne de nourriture non digérée, surtout des fromages. Ça pue le rat mort, là-dedans. Rigolez à ma blague. Je vous jure qu'elle était drôle. Je constate que les parois stomacales sont parsemées de trous, comme des alvéoles. Un bruissement incertain et plutôt menaçant en provient. Je ne quitte pas du regard ces cavités mais réalise que je dois me concentrer pour chercher la clé. Je l'aperçois sur l'une des parois et constate qu'il faut traverser une mer des sucs gastriques pour l'atteindre. Si je saute dedans, ma peau fondra instantanément. Avec ma taille actuelle, il serait également stupide de sauter. J'improvise donc un radeau avec un bout de fromage et une rame avec un petit bout de métal. Je rame péniblement jusqu'à la rive et saute dessus. Je ramasse la clé que je mets dans ma poche. Le bruissement, tel un fourmillement assourdissant s'approche de moi et je vois des nuées de bestioles répugnantes. Elles ont la forme de vers, mais ont une bouche déployable terminée par six grosses dents. Leur corps semble résister à l'acide du suc gastrique. Intéressant et emmerdant à la fois.
Les créatures fondent sur moi et je dégaine presque machinalement. L'histoire se répète encore et encore...
Alors que tente de couper le premier, ma lame se bloque sur la peau épaisse alors qu'un autre me contournait. Il enfouit ma main pas encore repoussée dans son immonde gueule suintante. Je réussis à couper l'appendice de celui qui s'approche de ma droite, mais une gueule m'agrippe le crâne et commence à m'immerger dans le noir et la puanteur. Je m'agite un peu dans tous les sens. Je tente de frapper mais je me fais doucement engloutir. Je décide de transpercer l'appendice. La lame coupe un peu mon nez mais je réussis à me dégager afin de récupérer ma main incomplète. Je tue les parasites restants et rengaine.
- Eh bah... c'était pas si terrible.
Je souris en lorgnant un bout de fromage sur lequel était écrit "Mangez-moi".
- C'est répugnant. Manger un truc qui a été mangé... j'vous jure.
Mais avant qu'elle ne parte, un immense insecte, déformé, possédant plusieurs têtes, des membres humains. Je soupire en me retournant vers l'immonde bestiole. J'écarte un peu les jambes et dégaine à nouveau.
  - T'as pas intérêt à me voler mon fromage.
Il fonce sur moi, m'empoigne au cou et m'envoie percuter l'une des parois. Je tousse du sang avant de finir à quatre pattes. Mon épée tombe à côté mais un coup d'une patte taillée comme une lame me percute et m'entaille l'épaule, plutôt profondément. Je hurle de douleur et repère l'insecte. Le salaud, il vole vite...
Je le vois revenir à la charge et me lacérer le dos impuissante. Je serre les dents, toujours à quatre pattes, mon sang dégoulinant. Alors qu'il revient une fois encore, je me relève dans un élan de courage et abat ma lame de mes dernières forces conscientes, le tranchant en deux parties qui viennent s'écraser derrière moi. Après cela, mes jambes tremblantes cèdent sous mon poids et je sombre doucement.

*
**

Mon enfance... Je suis devenue ado rebelle qui s'en foutait de tout. J'avais commencé à traîner avec des zonards, fumer et boire de l'alcool à l'aube de ma majorité. On se réunissait chez Trevor à mater le plus de pornos en un minimum de temps et se marrer comme des baleines. On s'enfilait des pizzas à s'en faire exploser la panse, rien ne nous était plus important que l'instant présent. À l'époque, je me maquillais comme une putain d'emo dépressive. Mon maquillage coulait la plupart du temps et que je sois à moitié nue ou habillée comme un garçon, je n'en avais rien à foutre. Je m'étais même teint les cheveux noir pour être raccord.
"Regarde-toi... Tu as péché, Alice. Rien ne saurait pardonner ton comportement. Ta résistance n'est que superflue... Bientôt, tu te perdras dans les méandres de la folie et des ténèbres. Quand ça arrivera, je me délecterai de ta déraison et de ton sang."
Quelqu'un venait de parler. Je l'avais entendu... Une voix féminine et suave... Le Maître des Lieux? Comment avait-elle accès à mon songe? Ma violence aurait-elle réveillé ce que j'ai de plus sombre en moi?

*
**

Je me réveille en crachant un peu de bave et mange un petit bout du fromage. Je commence alors à grandir. Encore, encore... J'explose les parois thoraciques du Loir et reviens dans la salle du banquet. Couverte de sang, mais en vie, je souris au désespoir qui m'attend peut-être derrière la porte.

Alice's Inferno (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant