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Son souffle était lourd et lent, bien trop lent. Ses yeux trop calmes pour sa situation se baladaient tranquillement sur ses jambes, ses mains posées sur la table de bois vieillis, dont les longs doigts fins jouaient avec les bagues d’argent qui les ornaient. Son cœur au rythme régulier était pressé d’une drôle de sensation, qui se baladait entre l’adrénaline, la peur et le soulagement. Il se sentait bien, enfin, il avait l’impression d’être réellement en paix avec lui-même. L’odeur du café qui empreignait tout le lieu dans lequel il se trouvait avait quelque chose d’étrangement soporifique sur sa personne qui se sentait enfin prête à dormir pour la première fois depuis longtemps.

Le brouhaha des voix masculines derrière lui se détendait et Jungkook oubliait même qu’il se situait dans un commissariat de police, il oubliait presque que son frère était en route pour venir le chercher et pour s’expliquer avec les agents qui l’avaient ramené ici. Il entendait encore dans ses oreilles le bruit du verre cassé, le ton cassé de ses cris fous de colère, ses larmes coincées dans le fond de sa gorge et son appel. Cet appel où il avait libéré toute sa haine, sa colère, ses mots brusques et violents, son âme et les morceaux de son âme. Maintenant il se sentait mieux, il se fichait presque de tout ce qui pouvait lui arriver par la suite.

Lentement, il releva ses yeux pour tomber sur un visage féminin concentré sur un écran d’ordinateur, un œil presque ennuyé alors que la jeune policière cliquait d’un rythme lent sur sa sourie. Son nez sibyllin éclaboussé de taches de rousseur délicates donnait à ce visage aux traits fins une joie et une effronterie certaine. Ses mèches blondes vénitiennes venaient tomber devant les yeux sombres de l’officier, alors que ces cernes soulignaient ceux-ci, les rendaient plus profonds, plus sombres et bien plus fatigués. Jungkook ne savait pas vraiment où étaient passés les deux hommes qui l’avaient amené là, ni même où étaient ses effets personnels. On l’avait amené au commissariat alors que le jour commençait à peine à poindre, on l’avait posé face à ce bureau et on lui avait interdit de bouger, ses poignets liés par ces menottes de métal. Le jeune brun n’avait pas cherché à comprendre, il était juste fatigué, endormi, repus, rassasié de toute colère ou de toute saute d’humeur que pourrait lui confier sa maladie.

Il était bien, il avait l’impression qu’enfin il pouvait couper tous les liens avec Jimin, ce démon de ses nuits, diable cruel et tentateur, qui finalement n’en devenait que risible à ses prunelles d’obsidiennes abîmées par les années. Lui crier sa colère avait été un moyen de tout rompre, comme lorsqu’on retire un bracelet fait avec attention par la personne qui avait tant aimé. Comme lorsque, similaire aux Parques muses et tisseuses de vie, on coupe ce fil rouge du destin, celui qui relie les âme-sœurs à tout jamais. Il se sentait presque orphelin, une nouvelle fois, il se sentait nouveau à toute sensation, mais c’était agréable.

Ses yeux d’anthracites se posèrent une nouvelle fois sur ses mains fines et abîmées, couvertes du sang de ses précédents coups de poing, alors que ses sourcils bruns se soulevèrent sous l’étonnement, et peut-être quelque chose comme de la déception. Son bracelet était tombé dans son énervement. Il ne savait plus réellement depuis quand celui-ci ornait son poignet, plusieurs années déjà, tant qu’il en avait oublié sa présence au quotidien. Jungkook avait toujours aimé tisser des liens, des fils, les nouer, les croiser, parfois les casser dans sa précipitation, les mélanger et les ranger. Il se sentait avoir le pouvoir sur quelque chose au moins dans sa vie, les nœuds de ces fils qui ornaient les poignets et chevilles, qui devenaient de vrais bijoux porteurs de vœux et d’espoir. Mais le sien venait de tomber, il ne savait pas vraiment quand, perdu, laissant un bras trop fin et trop blanc sans aucune couleur vive pour rehausser ce teint maladif.

Un soupir sorti de ses lèvres pleines, de ce même et éternel rose cotonneux qui avait charmé plus d’un être de lumière ou d’obscurité, mal attentionné ou regorgeant de pureté. Maintenant il se sentait bien, il ne voulait pas tout gâcher, alors il se dit qu’il n’aurait qu’à se refaire un bracelet plus tard, que rien ne pressait. Sa voix douce de la jeune fille assise de l’autre côté du bureau le sortit alors de ses pensées, tandis que ses lèvres à peine maquillées lui offraient un sourire rassurant. Puis, d’un coup de tête, la policière pointa la porte d’entrée du commissariat, juste avant qu’un corps ne se meuve aux côtés du brun.

ROSE COTONNEUX T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant