Chapitre 22

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Des cris étouffés explosèrent ce silence pesant, transperçant ces murs blessés qui délimitaient les pièces de cet immeuble délabré.

Morgane et les autres attendaient dans le couloir en silence, près d'une porte numérotée 14, assis sur le sol crasseux et dos contre le mur. Quentin était à l'intérieur de la pièce, accessible par cette fameuse porte, avec d'autres Destroyas qui essayaient de le soigner avec les moyens du bord. Aucun n'était médecin, ni chirurgien. Le plus vieux d'entre eux ne dépassait pas les quarante ans... et Christophe avait loin d'avoir l'apparence d'un docteur !

Sinon, c'était tous des adolescents ou des jeunes adultes. Et aucun d'entre eux n'avait fait d'études de médecine...

Puis la porte s'ouvrit, ils eurent tous le réflexe de se relever. Léa débarqua alors, en lâchant un long soupir et en retirant de la sueur qui perlait sur son front.

Léa était une Destroya, comme eux tous, mais Morgane ignorait son pouvoir. C'était une adolescente de son âge, à l'attitude sage et sereine. Ses cheveux ondulés, semblables à une calme mer ténébreuse à l'écume cuivrée, étaient attachés dans une queue-de-cheval qui pendait derrière son dos. Malgré son visage ravagé par l'acné, les boutons disgracieux de l'adolescence ne souillaient pas son sublime visage. Elle regarda le groupe avec ses yeux marron, sans esquisser un léger sourire.

- Ça a été compliqué, avoua-t-elle alors. Ses deux jambes sont fracturées.

Un silence. Le groupe entier la regardait avec des yeux noirs, sombres par l'inquiétude et une sorte de désespoir.

- Il ne pourra pas marcher pendant un long moment, continua Léa d'une voix douce. Peut-être qu'il...

- Qu'il ne pourra plus jamais remarcher, termina Armande d'un ton sombre, comme si elle connaissait déjà la réponse.

Léa hocha la tête, à contrecœur. Le cœur de celle au corbeau se serra en attendant cela, personne ne parla pendant un long moment. Celle pouvant se téléporter baissa la tête.

- Il est en train de dormir, lança alors Léa comme pour les rassurer, on va s'occuper de lui et le surveiller, cette nuit. Revenez demain pour le revoir, d'accord ?

Morgane fut une des seuls à hocher la tête pour répondre à l'autre Destroya, avec Axel et Mila. Soudainement, Armande tourna les talons et s'en alla, devant les regards interloqués des autres, sans leur jeter le moindre regard.

Personne ne put la retenir. Laureline lui avait attrapé le bras et demandé si elle allait bien, et après un violent geste pour se débarrasser de son emprise, Armande avait descendu les escaliers d'un pas pressé, ne décollant par son regard du sol sale.

C'est en entendant la porte principale de l'immeuble se fermer brutalement qu'ils réalisèrent qu'Armande était partie. Ils se regardèrent tous, les yeux attristés et inquiets, Morgane lâcha un long soupir.

- Vais aller la voir, proposa-t-elle. J'reviens.

Aucun ne protesta, elle se dirigea vers l'escalier, Kim sur son épaule. L'adolescente jeta un dernier regard vers eux... Léa lui souriait légèrement.


Morgane retrouva Armande recroquevillée sur elle-même, dans une ruelle et entre deux poubelles à l'odeur écœurante.

Celle au corbeau regarda l'autre Destroya un petit moment, l'estomac noué en la voyant dans cet état. Morgane plia les genoux, pour être plus ou moins à la même hauteur que l'autre adolescente, puis posa sa main sur son épaule.

- Vais même pas te demander si ça va, lança Morgane calmement.

Un silence.

- Dis-moi ce qui va pas.

Armande releva lentement la tête, les yeux rougis et vitreux, les joues écarlates et le sourire tordu dans un rictus torturé. Elle renifla bruyamment, celle au corbeau n'articula pas le moindre mot. Kim, lui, était penché vers celle qui pouvait se téléporter, les serres plantés dans le plastique vert d'une boîte à ordures.

- C'est un Enfer, avoua alors Armande d'une voix détruite, j'en peux plus.

Puis elle explosa en larmes, devant les yeux inexpressifs de l'autre Destroya. Morgane fit mine de rien, alors que la voir pleurer eut le même effet qu'un coup de poing au plein milieu de la poitrine.

- Pourquoi on a trouvé ça intelligent de fuir Avignon ? demanda-t-elle alors, de sa voix déraillée.

- Parce que sinon, on mourait.

- Pourquoi fallait que ça tombe sur nous ?

- Parce que Clément est un connard.

Ces mots lui avaient échappé, sa haine inarrêtable et immortelle envers cet adolescent était profondément encré dans son âme et n'allait probablement partir que lorsqu'elle mourra. Morgane détourna le regard, comme si la honte s'abattait sur elle, elle n'était pas réellement douée pour rassurer et aider les autres...

- Heureusement qu'il est mort celui-ci, en passant, chuchota-t-elle.

- Mais...

Celle au corbeau regarda de nouveau Armande, cette dernière ravala un sanglot. Elle attrapa Morgane et l'enserra violemment, pleurant et criant contre son épaule.

- Pourquoi fallait qu'on naisse différents ?

Morgane ne lui répondit pas directement, les yeux écarquillés et posés sur elle. Celle au corbeau inspira lentement avant de tapoter doucement l'épaule d'Armande, ne sachant pas quoi faire d'autre, totalement prise au dépourvu. Même si, au fond, elle pouvait comprendre ce que l'autre adolescente ressentait, ce désespoir de se voir chasser comme des monstres, pour éviter de mourir ou de subir d'ignobles expériences scientifiques jusqu'à expirer leur dernier souffle.

Ils auraient pu avoir une vie normale, mais ils étaient ''anormaux''.

- Je sais pas, Armande. Je sais pas.

DESTROYAS II : La Zone FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant