Chapitre 23

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Une pluie intense s'abattait sur la Ville.

Morgane regardait les gouttes d'eau de la taille d'une balle de ping-pong tomber, sphères liquides qui s'écrasaient au contact du moindre obstacle. Les larmes des nuages se heurtaient au toit de l'ancien train, roulant comme des baguettes sur un tambour.

Tous les Destroyas s'étaient réfugiés en hauteur et, à l'occurrence, dans un train près de la gare. Celle au corbeau n'avait jamais vu une averse aussi violente de toute sa vie.

Les éclairs rompaient le ciel sombre, des flashs lumineux les aveuglaient, parfois. Cela faisait bien deux heures qu'ils étaient tous là, attendant patiemment que les pleurs du ciel cessent.

Morgane était tout près de celui qu'elle aimait, blottie contre lui pour essayer de se réchauffer du mieux qu'elle pouvait. Elle avait froid. Axel avait froid. Tout le monde avait froid.

Personne ne parlait, même Kim n'osa pas ouvrir son sombre bec pour hurler de sa voix criarde. Quentin était allongé sur deux sièges, ses jambes étaient entourées de bandages. Le transporter ici avait été un calvaire, entre gémissements et cris d'agonie.

Armande et Laureline le surveillaient, les yeux rivés sur leur ami endormi. Zakari était vautré dans un siège, le regard sur une vitre fissurée, admirant les gouttes de pluie d'un ton pensif. Quant à Mila...

- C'est une tarée de faire ça, cracha celle qui pouvait se téléporter.

- Elle va attraper froid, elle va rien comprendre à sa vie, répondit Morgane après un léger rire.

- Bah voyons. Après un blessé, nous faut bien une malade.

La voix d'Armande était devenue si raide et si stricte que celle au corbeau la reconnaissait à peine.

Mila était assise sur le toit du train, en tailleur, les yeux fermés et trempée jusqu'aux os. Mais la tempête ne l'effrayait pas, non : les éclairs étaient ses fidèles alliés, elle savait très bien qu'ils n'allaient jamais la laisser tomber.

À chaque fois qu'un éclair s'écrasait près d'eux, dans ce même bruit fort, Morgane ne pouvait pas se retenir de crier de surprise. Elle n'avait jamais été effrayée par la pluie, ni par ses compagnons électriques, même dans sa tendre enfance innocente... mais en voyant cette violente averse, celle au corbeau comprit qu'elle devait véritablement remettre ses peurs et sa fierté en question.

Morgane voyait Baptiste et Mathys parler ensemble, dans la cabine de pilotage du train. Elle ignorait de quoi ils parlaient réellement, elle avait supposé que l'adolescent était le bras droit officiel du chef. Mathys parlait peu, se contentant d'hocher la tête à chaque parole de leur chef à tous.

Clara rigolait et parlait fort, avec beaucoup d'autres Destroyas, dont certains que celle au corbeau n'avait jamais vus une seule fois. Adrien avait un pansement sur le front, pour cacher la blessure qu'il avait reçu, à l'hôpital... Léa admirait l'extérieur, silencieuse comme la nuit.

Christophe discutait avec Baraka et une autre Destroya, appelée Inès à ce que Morgane avait compris. Elle ne savait pas de quoi il parlait... mais en tout cas, ça semblait fasciner les deux adolescentes, les yeux illuminés tels des étoiles rayonnantes dans le sombre ciel nocturne.

- Axel, articula-t-elle doucement.

Il la regarda, alors que Morgane fixait le vide d'un air absent, pour ne pas dire mort.

- J'ai froid.

Tout son corps semblait être devenu un glaçon, à lui tout seul. Elle ne sentait plus ses doigts, ni même le bout de son nez, grelottant de plus en plus fort. Des frissons lui parcouraient l'échine, toutes les minutes, toutes les secondes. Morgane avait l'impression que sa salive allait se solidifier dans sa bouche.

Le Destroya l'enserra et pressa doucement son corps contre le sien. Ils ne parlèrent pas, n'articulèrent plus rien, bercés par la musique sinistre de la pluie.

Des rires brisèrent l'ambiance assombrie du train. L'un des jeunes adultes, nommé Gwenn, semblait avoir de violentes crises de rire avec Clara. Morgane entendit des bruits distincts à ceux des pleurs des cumulonimbus gris : Mila semblait tapotait sur le toit du train, en harmonie avec les munitions d'eau, cacophonie étrangement mélodieuse.

Les minutes semblaient ne plus être seulement composées de soixante secondes, tellement elles étaient longues. Léa apporta une couverture à Quentin, qui dormait profondément, mais les sourcils froncés de cette douleur quotidienne et invincible trahissaient son sommeil serein. Il souffrait et personne ne pouvait l'aider à surmonter cette épreuve abominable.

La vision d'un Quentin condamné à être assis ou allongé jusqu'à la fin de sa vie arracha un autre frisson à Morgane. Elle haïssait la Zone Fantôme et les Destroyas rongés par la folie qui y erraient. Penser à Avignon et à l'État lui donnait envie de vomir. Le monde entier lui faisait remonter l'acide gastrique jusqu'à sa gorge.

Une envie de voir la Terre brûler devant ses yeux se dessina, dans son imagination. Tout le monde mourait, humains comme Destroyas. Si les Destroyas ne méritaient par leur place sur Terre, alors pourquoi les humains devraient l'avoir ? Il n'y avait plus personne pour rattraper la misère qui s'était installée, sur la planète.

Morgane ferma les yeux, essayant de trouver le sommeil qui la fuyait. Elle remarqua Baptiste passer dans le rang central du train, d'un pas lent, observant chaque Destroya présent. Parfois, il en saluait ou leur demandait si tout allait bien. Malgré tout... on ne pouvait pas dire qu'il était un dictateur ne se souciant même pas de son peuple. Leur chef semblait prendre le temps de tous les écouter... peut-être qu'il ne les considérait pas comme des personnes à sa botte, lui obéissant sans réfléchir, mais plus comme des membres de son immense famille qu'il construisait, petit à petit ?

Baptiste s'arrêta devant la Destroya à moitié endormie et Axel. Morgane entendit seulement un léger rire et quelques paroles peu importantes à son ouïe, avant de s'en aller de ce monde cruel pour un autre royaume éthiopique, à ses yeux.

L'averse se termina quelques heures plus tard, après avoir duré, au total, neuf heures.

DESTROYAS II : La Zone FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant