I

4.2K 143 12
                                    



Je tapais du pied. S'il y avait bien quelque chose qui ne m'avait pas manqué, c'était les transports en commun parisiens. Encore un colis suspect qui bloquait la ligne du métro 4. J'allais être en retard et mon frère allait m'en vouloir, comme d'habitude. L'adolescence était vraiment une sale période.

Mon portable qui vibrait entre mes doigts me sortit de ma léthargie. C'était lui, Clément, mon petit frère.

-Oui Clém, j'arrive, j'énonce rapidement en décrochant. Ma ligne est bloquée.

-Putain Suzie, tu fais chier, il souffle.

-Dis ça à la RATP putain !

Il raccrocha et je soufflai. Pour une fois que je m'organisais pour être à l'heure et faire plaisir à mon petit frère, il fallait qu'une merde m'arrive.

Quand enfin le problème de la valise oubliée fut réglé, je pris place sur un strapontin et pria pour ne pas être trop en retard. Quelle idée de placer les rencontres parents-professeurs un mercredi soir aussi.

                                                           *

- Putain bouges-toi Suzanne !

J'envoyais mon regard le plus sombre à mon frère mais fis ce qu'il me demandait et accéléra la cadence malgré ces talons qui me tailladait les orteils depuis le matin.

-Clément Morel, je ne vous attendais plus, énonça le vieil homme quand il aperçut mon frère devant la porte.

-Désolé Monsieur, ma sœur a eu des problèmes de transports.

J'acquiesçai vivement tandis que le vieil homme, professeur d'histoire-géographie si je me fis au papier que j'avais entre les mains, posa son regard bleu transperçant sur moi.

-Très bien, entrez.

Clément entra à la suite de son professeur tout en me lançant un nouveau regard noir. Je le suivis dans la salle de classe en poussant un long soupir. Clément était un garçon plutôt facile à vivre habituellement, mais depuis notre emménagement à Paris à cause de la mutation d'Etienne, notre frère ainé, il était plus difficile à gérer. Il ne se confiait pas énormément sur son nouveau lycée et ses fréquentations alors que quand nous étions à Brest, je connaissais sa vie sur le bout des doigts.

-Eh bien, Clément, je pensais rencontrer tes parents et je suis un peu troublé de me retrouver devant une jeune fille à peine plus âgée que mes étudiants, souffla le professeur en me fixant.

Je fronçai les sourcils, posa ma main sur le bras de Clément, que je savais tendu à la simple évocation de nos parents et expliqua calmement la situation. Une explication que j'avais déjà donner un nombre incalculable de fois.

-Nos parents sont malheureusement décédés il y a maintenant cinq ans et je suis la tutrice légale de Clément

Le visage du professeur se transforma brusquement et il tenta de s'excuser alors que je lui souriais doucement. C'était à chaque fois la même réaction : la surprise tout d'abord puis la pitié et la curiosité. Alors je préférais couper court et repris :

-L'intégration de mon frère se passe bien ?

Le vieil homme se racla la gorge et son regard se tourna cette fois sur Clément, qui fixait ses chaussures tout en serrant les poings. Sa réaction habituelle quand quelqu'un évoquait nos parents.

-Oui, je pense en tout cas que ses camarades l'ont accueilli et intégré plutôt rapidement. Je me trompe Clément ?

Mon frère grogna un « non» à peine audible et je fronçai les sourcils devant son comportement face à son professeur. Ce dernier poursuivit sur les bonnes notes de mon frère et son comportement plutôt exemplaire. Selon lui, la nouvelle génération était dure et exécrable. Ces dires me rappelaient ma propre adolescence. Combien de fois les professeurs avaient-ils fait ce genre de remarque à mes parents ?


Flashback - 7 ans plus tôt

-Votre fille est sur une pente dangereuse Mme Morel et ses fréquentations n'arrangent rien.

Je sens le regard noir de ma mère sur moi mais je l'ignore. Je bouillonne. Il parle de mes amis comme de simples voyous parce que c'est un vieux raciste conservateur. Je m'apprête à répondre à cet ignoble vieillard addicte aux mathématiques que non, mes amis ne sont pas de mauvaises fréquentations et qu'ils sont sûrement de meilleures personnes que cet énergumène, mais ma mère m'en empêche en reprenant la parole.

-Elle va se reprendre Monsieur, je vous l'assure.

Après des promesses et des salutations, nous quittions enfin cette salle de classe que je détestais et ma mère ne me décrocha pas un mot alors que nous rejoignons la sortie du collège. Quand nous arrivions devant la grille du lycée, j'aperçus mes amis, assis un peu plus loin. Ils me virent aussi et commencèrent à s'approcher de nous alors que je leur fis une grimace. Hakim fronça les sourcils alors qu'Idriss et Ken continuaient leur ascension. Ma mère remarqua enfin leur présence alors qu'ils étaient arrivés en face de nous et elle stoppa sa progression.

-Bonjour Catherine, salua Ken avec un large sourire.

Ma mère leur fit la bise avec un sourire chaleureux. Elle les connaissait depuis de longues années et les aimaient beaucoup. J'avais parfois l'impression qu'elle les préférait même à moi.

-Ken, mon chéri, ta mère n'est pas là ? Et vous les garçons comment va votre grand-mère ?

Ils se parlaient, et je restais en arrière, contente que ma mère m'ait oublié quelques instants. Malheureusement trop peu de temps selon moi.

-Est-ce que vous laisseriez Suga sortir avec nous ce soir ?

-Non.

La réponse de ma mère avait claqué. Froide. Dure. Elle se retourna brusquement vers moi, alors que je me mordais la lèvre inférieure, et me fusilla du regard en reprenant la parole avec ce ton froid que je détestais tant.

-Cette jeune fille va être privé de sortie jusqu'à ce que ses notes et son comportement se soient améliorés.

Un silence suivi ses paroles et je relevais lentement la tête vers mes amis, qui me fixaient tous. Hakim fronçait les sourcils et paraissait encore plus sombre que d'habitude. Idriss m'adressa une légère grimace alors que Ken me sondait du regard. Je détestais quand il faisait ça alors je fis un signe de main aux garçons et partie en direction de la voiture, ma mère sur les talons.

La soirée avait été tendue. Ma mère m'avait ignoré alors que mon père avait préféré me crier dessus. Je m'étais enfermée dans ma chambre quand il avait commencé à insinuer que les garçons avaient une mauvaise influence sur moi, chose que ma mère réfutait. Allongée en boule sous ma couette, mes frères, m'avaient rapidement rejoint et nous avions passé le reste de la soirée à manger les derniers bonbons d'halloween de Clément tout en regardant une série sur l'ordinateur d'Etienne.

Fin


Cette époque avait été la plus belle de ma vie. Parce que même si je me prenais constamment la tête avec mes parents, ils étaient là et je savais qu'ils m'aimaient. Quelques mois après cet épisode, les choses avaient changé et j'avais effectivement pris une pente dangereuse. Et mes parents avaient disparu, nous laissant, mes frères et moi, livrer à nous même. Aujourd'hui il ne me restait plus que ma culpabilité et jamais ils ne pourraient entendre mes excuses pour l'horrible époque que je leur avais fait subir.


Come BackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant