Lexie
Je ne sais pas où je vais. Je marche. Je fixe mes pieds, j'avance. Après avoir englouti trois bols de crème glacé et vidé presque toute la réserve de bouteille d'eau de Shawn — comme si ça allait m'aider à récupérer toutes les larmes que j'ai versé aujourd'hui —, je suis sortie en prétextant que j'avais besoin de sommeil. Ce n'est pas faux, mais je m'en veux d'encore lui mentir. Si je n'étais pas si égoïste, si je ne pensais pas qu'à moi, et à Evan, je pourrais peut-être arrêter de laisser mon meilleur ami de côté, comme la plupart de ceux qui m'approche. Je ne serais pas là, à botter le même caillou depuis déjà une heure, en maudissant le cauchemar que je crois encore vivre.
La petite rue faiblement éclairée par des lampadaires éraflés et des enseignes lumineuses est déserte, sauf les quelques passants pressés qui ne lèvent même pas les yeux et tracent leur chemin sans se soucier de ce qui les entours. Je longe le trottoir. Je me suis rarement promenée ici. C'est calme, apaisant pour ceux qui n'ont pas la conscience tranquille, comme moi, ce soir. Le couché de soleil donne une lueur orangée au ciel, bientôt étoilé. J'ai presque honte : ce n'est pas comme si mon petit copain potentiel était recherché par la police et s'était éclipsé de mon lit en me laissant seulement un bout de papier chiffonné et un texto minable qui ne veut pratiquement rien dire. Je me sens tellement stupide. Je marche, l'air débile, en espérant encore pathétiquement que tout ça est un cauchemar dont je peux encore me réveiller.
Une jeune femme m'adresse un sourire timide, le pas lent, cigarette à la main. Lorsqu'elle se pose près de la porte du magasin de pâtisserie d'où elle vient de sortir, elle me jette un bref regard et coince la cigarette entre ses lèvres. Elle tire, avant de laisser la fumée infecter l'air frais. Ses cheveux sont attachés, son tablier, rempli de farine et ses yeux, cernés. Mon regard traverse la vitrine et se pose sur les nombreux gâteaux et cupcakes méticuleusement décorés de glaçage et de figurines comestibles, posés soigneusement derrière de grandes vitrines ornés de guirlandes dorées. C'est à croire qu'ici, Noël est à l'année. Lorsque je remarque que la jeune femme me regarde, un vague sourire au coin des lèvres, je secoue la tête et recommence à marcher. Si je dois engloutir tout ce qu'il y a sur ma route à chaque croche de ma vie, je prendrai deux fois ma taille avant la fin de l'année...
En longeant le trottoir, je m'acharne une nouvelle fois à botter un pauvre caillou apparu sur mon chemin. Mes mains se posent sur mes bras, prenant conscience de la température fraiche de la soirée. Il ne m'est jamais arrivé souvent, dans ma vie, de fréquenter la nostalgie. Le regret des temps passés. Le seul qui m'est un temps soit peu fait ressentir quelque chose d'aussi malheureux que la mélancolie a été mon frère, à sa mort. Parfois, je me demande s'il est là, à me regarder, ou à me sermonner silencieusement. Je n'ai jamais été quelqu'un de très impliqué religieusement. Je n'ai jamais cru aux anges, aux fantômes, aux esprits, quel que soit leur nom. À la vie, après la mort. Pourtant, depuis que j'ai perdu Billy, je me surprends à espérer pour lui quelque chose de meilleur. Un endroit où il pourrait avoir le choix, où il serait toujours là pour veiller sur nous. Chaque soir, j'ai une petite pensée pour lui. Je ne sais pas si j'essaie seulement de me faire sentir moins coupable, ou si j'y crois réellement. Peut-être que je m'en veux toujours, de ne pas l'avoir empêché, cette nuit-là. Si j'avais agis différemment, mon frère serait forcément toujours en vie...
Lorsque je jette un œil du côté d'un vieux resto-bar de l'autre côté du trottoir, je traverse la rue, les mains dans les poches et les cheveux remuant au vent, en remarquant la longue tignasse blonde de Victoria. Un visage familier me fera peut-être du bien. Quelqu'un qui ne me connait pas suffisamment pour savoir que je suis complètement terrifiée, et paumée.
— Tiens, s'exclame Victoria, au moment où elle lève les yeux de son téléphone, la paille de son verre écrasée entre ses dents. Salut !
Je finis par lui sourire. Je ne m'étais pas rendue compte à quel point je devais avoir l'air bizarre, à m'approcher d'elle avec des pas crispés et un faux sourire bidon. Elle me lance un magnifique sourire accentué par un rouge à lèvre bordeaux parfaitement appliqué.
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BROKEN - Tome 2
RomanceElle a enfin obtenue ce qu'elle voulait. Evan. Après avoir finalement compris qu'ils s'étaient épris l'un de l'autre, Alexie doit faire face à un nouveau problème : celui qu'elle se permet finalement de désirer est recherché par la police. Dévastée...