Chapitre deux

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« Pierre Corneille a écrit : "La force de l'amour paraît dans la souffrance." Il a tort, je ne me suis jamais senti aussi loin de Louis que depuis qu'il va mal. » - Harry

J'ai toujours pensé que j'étais quelqu'un de fort dans la vie. J'ai toujours cru que je faisais partie de ces personnes, capables d'encaisser les coups sans se laisser atteindre, j'avais tort. C'était naïf de ma part de croire que la réaction de mon père n'aurait pas d'importance à mes yeux. Ça fait une semaine que je suis anéanti. Totalement. Chaque matin, quand je me regarde dans le miroir et que je vois le coquard que j'ai à l'œil, ça ravive ma douleur. Je n'ai pas mal physiquement mais intérieurement. Je me sens blessé, je le suis, je suis blessé, pas par le geste en lui-même, mais par ce qu'il représentait. Je ne pourrai jamais oublier la haine qu'il y avait dans son regard au moment où il m'a frappé. J'ai essayé de toutes mes forces de me convaincre que tout ça ne comptait pas, mais ce n'est pas vrai, ça compte et ça a des répercussions. Des répercussions que je ne voulais pas.

Ce qui s'est passé ce soir-là, m'a fait tellement de mal que j'ai eu besoin de trouver un coupable. C'était trop dur d'accepter le fait que j'aie pu décevoir mon père à ce point-là. J'avais besoin de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre que moi, j'avais besoin de trouver un autre responsable, je ne supportais pas ce poids sur mes épaules. Alors je m'en suis pris à Harry. C'est à lui que j'ai fait subir le rejet de mon père, c'est lâche je sais, mais je n'ai pas réussi à me contrôler. Inconsciemment je me suis mis à lui en vouloir, à lui rejeter tous les torts dessus. À me dire que tout était de sa faute, que s'il n'était pas rentré dans ma vie, s'il ne m'avait pas fait tomber amoureux de lui, rien de tout ça ne serait arrivé. Je me suis éloigné de lui. Ça a commencé le matin à mon réveil, je suis devenu distant et froid. Je n'avais plus envie d'être dans ses bras, je n'avais plus envie qu'il me touche, je ne voulais pas qu'il me réconforte pour une chose dont il était fautif. Je suis parti de chez lui, et je ne l'ai pas revu depuis, ça fait une semaine et demie.

Au début il a essayé de m'appeler, j'ignorais chacun de ses appels, chaque SMS qu'il m'envoyait. Ça a duré quatre jours, puis il a fini par abandonner. Je l'évitais dans les couloirs de la fac, j'ai même séché les cours de philosophie qu'on a en commun pour ne pas le voir. La seule chose qui nous reliait encore, c'était le comptage que je lui envoyais chaque jour sur le compte d'Anonyme.

169. Aujourd'hui.

Je me suis fermé à lui sans le réaliser, je me suis fermé à lui comme lui se ferme à moi quand il va mal. J'ai passé tout mon temps libre dans ma chambre à étudier, ou à m'entraîner ou à courir, je suis même allé quatre fois à la salle de sport du centre-ville pour boxer. J'ai passé tout mon temps à m'épuiser physiquement, afin d'être trop fatigué pour penser. Je l'ai accusé de toutes mes erreurs. J'étais tellement en colère contre lui, contre mes parents, contre l'univers entier que j'ai merdé. Sans exagération pour une fois, ma mère a tenté de me joindre presque cent-cinquante fois sur mon portable, elle aussi je l'ai ignorée.

Je réalise qu'avant de vivre tout ça, j'avais toujours été préservé par la vie, totalement épargné. Je n'ai jamais rien connu de dur, je n'ai jamais rien vécu de dramatique ou de traumatisant. Je faisais partie des chanceux. Je ne sais pas encaisser les coups, comment j'ai pu penser que j'étais quelqu'un de fort alors qu'à la moindre épreuve je réagis comme un minable.

Je m'énerve. Je m'énerve tout seul contre moi même. Je regarde pour la millième fois mon portable. Rien. Je n'ai aucune nouvelle d'Harry, c'est de ma faute. On est mercredi soir, il est 23h, je suis allongé dans mon lit et je n'arrête pas de penser à lui. Il me manque. On n'a jamais été séparés aussi longtemps. Je m'en veux de lui en vouloir, je m'en veux d'agir comme un crétin avec lui. Je pense à tout ce qu'il a vécu, des choses bien plus dures qu'avoir un père trop con. Il vit chaque jour avec un passé lourd à porter, une maladie qui le tire vers le bas sans cesse et pourtant il se bat pour vivre. Je crois qu'il n'en a pas conscience, mais il m'arrive souvent de voir dans ses yeux qu'il a encore envie de mourir, que c'est là, enfoui quelque part au fond de lui quoi qu'il fasse. Pourtant il lutte. Il se bat chaque jour contre ses pensées, sans baisser les bras et moi je suis là, à me morfondre sur mon triste sort parce que mon père est le roi des connards. Et je lui fais payer. Je n'ai pas le droit de faire ça, je n'ai pas le droit de lui faire subir ça. C'est injuste, il ne mérite pas ça. Il ne m'a jamais forcé à tomber amoureux de lui, il ne m'a jamais forcé à l'aimer et je n'ai pas envie de croire que l'aimer est une erreur, à cause de mon père. C'est mon père l'erreur, pas lui.

DEGRADATION Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant