DEGRADATION Tome III

Chapitre treize

« ... » - Harry

♠

Insupportable. Ça fait une semaine qu'Harry est insupportable et encore je suis gentil sur le choix du mot. Exécrable, infect et odieux correspondraient mieux. Il est de mauvaise humeur tout le temps. Il s'en prend à tout le monde. Son père, moi, même Manuel y a eu droit, alors qu'il a toujours eu un profond respect pour lui, pas qu'il n'en ait pas pour son père et moi, bien au contraire, mais je ne l'avais jamais vu avoir un mot plus haut que l'autre envers lui. Même Connard en a pris pour son grade. Les premiers jours il l'ignorait presque, moi aussi il m'ignorait, ou plutôt il me repoussait. Il refuse tout contact physique entre nous. Aucune caresse à Connard, même quand il lui tourne autour pour en réclamer et moi dès que je tente de l'approcher, il trouve toujours une façon de se dérober. Sauf la nuit. Il n'y a que la nuit où j'arrive à me sentir proche de lui, il n'y a que la nuit où je peux avoir un vrai contact avec lui. Quand on va se coucher une fois qu'il a terminé de vérifier ses portes, quand il me rejoint dans le lit et qu'il me tend notre bout de tissu pour que je l'enroule autour de nos poignets, il se blottit contre moi, tout ça sans un mot. Même s'il ne parle pas, il n'y a qu'à ce moment-là que j'ai l'impression de retrouver un petit peu mon Harry, celui que je connais, pas celui qui passe ses journées à ruminer contre tout et tout le monde, tout le temps, en écrivant dans son journal intime. Il n'arrête pas, quand il n'est pas occupé à être désagréable il ne fait que ça, il écrit, il écrit, il écrit. C'est la première fois que j'ai envie de savoir ce que contient ce carnet, c'est la première fois que j'ai envie de le lire pour comprendre ce qu'il se passe dans sa tête, pour qu'il soit comme ça. Je suis certain qu'il l'écrit dedans et ça me rend dingue de me dire qu'un simple cahier sait et pas moi.

Mais voilà, pour résumer, Harry est difficile à vivre en ce moment. Je sais que ça le rend triste d'être comme ça, surtout qu'il ne le contrôle pas, je le vois dans ses yeux, mais j'avoue que c'est dur. Tellement dur que hier j'ai explosé, je n'ai pas réussi à me retenir. Je lui ai demandé une fois de plus s'il voulait qu'on aille chercher Hope chez Carla et une fois de plus il m'a répondu un "non" froid et ferme sans la moindre explication. Depuis sa sortie, il refuse catégoriquement d'entendre parler de ce chien, ça n'a pas de sens car je sais qu'il est attaché à lui. Je suis certain qu'au fond de lui il veut le récupérer, qu'il en a envie autant que moi, c'est pour ça que je ne comprends pas sa réaction. Hier ça a été le non de trop, celui qui m'a fait craquer. 

FLASH BACK

21H. Allongé sur son lit, je traîne sur mon portable pendant qu'il écrit dans son journal, assis à son bureau de dos à moi. Je me connecte sur le site de discussion de la fac pour lui envoyer le comptage du jour. 251. Depuis sa sortie de l'hôpital, j'ai cessé de les noter dans le petit carnet noir pour reprendre notre habitude de base, même si le petit carnet reste dans sa table de nuit à portée de main. Quand j'entends qu'il chuchote je relève les yeux vers lui, il ne s'adresse pas à moi, il est toujours de dos. Il se parle à lui-même, ses mots sont incompréhensibles de là où je me trouve, je ne suis même pas certain qu'ils seraient plus clairs, si j'étais collé devant sa bouche. Je me demande s'il s'entend, s'il a conscience de ses marmonnements incessants. J'hésite plusieurs secondes et je finis par me lancer -encore une fois.

"Ça te dirait qu'on aille chercher Hope demain ?"

Immédiatement je le vois se crisper, sa main est serrée à s'en blanchir les phalanges sur son stylo qui n'écrit plus. "Non." Toujours la même réponse froide et ferme. "Pourquoi ?" Je tente doucement. "Laisse-moi tranquille." Je me relève du lit et m'approche de lui.

"Harry s'il te plaît, je sais que tu as envie d'avoir ce chien.

- Lâche-moi avec ça."

Il est tellement désagréable et injustement en plus, que je sens que je perds patience.