Chapitre douze

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« Milan Kundera a écrit : "La honte n'a pas pour fondement une faute que nous aurions commise, mais l'humiliation que nous éprouvons à être ce que nous sommes sans l'avoir choisi, et la sensation insupportable que cette humiliation est visible de partout." J'ai honte de moi, honte de ce que j'ai fait et honte de ce que je suis. » - Harry

LUNDI.

"Wow, c'est une blague ?"

Je regarde la camionnette de location du magasin de meubles, comme si c'était la réincarnation du pire monstre qui n'ait jamais existé. Le vendeur debout à côté de moi me regarde bizarrement.

"Quelque chose ne va pas ?

- Vous n'avez pas plus petit ?

- Non, au contraire nos autres modèles sont encore plus gros.

- Je vais devoir conduire ça ? Tout seul ? On ne voit même pas derrière.

- Après, comme je vous l'ai dit, nous faisons aussi la livraison à domicile.

- Oui mais je ne serai pas livré avant la fin de la semaine c'est ça ?

- C'est ça."

Je secoue la tête.

"Non c'est trop tard, j'ai besoin de ce tapis jeudi au plus tard."

Parce que normalement si tout va bien et que tout se passe bien, Harry sort vendredi matin de l'hôpital. On le sait depuis hier matin et depuis hier matin je suis une boule d'excitation. On est lundi, je compte les jours et les heures, je serais même capable de compter les minutes et les secondes si c'était pas aussi compliqué à faire et que je connaissais l'heure exacte de sa sortie. J'ai passé ma soirée et ma nuit à fouiller tout internet pour trouver un tapis identiquement identique au sien. Je ne supporte plus de voir cette serviette qui recouvre les taches de sang et il est hors de question qu'il la voit lui aussi. Je ne veux plus de ça, je ne veux plus de ce souvenir dans sa chambre. Je me souviens encore de ses mots la première fois que je suis venu chez lui :

'Je me sens bien dans ma chambre.'

Je veux que ça continue, je veux qu'il se sente toujours aussi bien chez lui. Même mieux qu'avant. Je sais bien que j'aurais pu mieux nettoyer les taches, mais j'ai essayé et rien n'y a fait. Puis je crois que même si j'arrivais à les faire entièrement disparaître, je les verrais encore. Un nouveau tapis, c'était la meilleure solution, la seule solution possible, mais je ne voulais pas non plus le perturber. Je l'ai déjà assez fait comme ça quand je l'ai convaincu de peindre le mur derrière le lit en bleu foncé pour qu'on soit entourés d'étoiles. Je ne veux pas le traumatiser plus. Il fallait que je trouve absolument EXACTEMENT le même modèle. Après des heures -j'exagère- de recherches, la chance a été avec moi, je l'ai trouvé dans un magasin de meubles pas très loin.

Évidemment, après ma visite à Harry et sans rien lui dire bien entendu, j'ai foncé au magasin tête baissée, trop tête baissée d'ailleurs, beaucoup trop, la tête carrément à ras du sol. J'ai chargé le tapis sur un caddie-palette, je suis passé en caisse, tout ça fièrement. J'ai traversé le parking tout aussi fièrement et ouvert le coffre de ma voiture encore plus fièrement. Puis le drame. Je sais que l'intelligence et moi ça a tendance à faire 5 571, mais je pense que là j'ai battu un de mes records. Le tapis ne rentre pas, ce n'est pas, même pas que je peux pas fermer le coffre, c'est carrément qu'il est plus long que la voiture tout entière. J'ai dû aller chercher un vendeur pour trouver une solution et on en est là. Tous les deux sur le parking, moi à regarder l'immense camionnette à l'effigie du magasin que je suis censé conduire et lui à me regarder en attendant que je me décide.

DEGRADATION Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant