Chapitre quinze

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✉ J - 81.

✉ Excuse-moi pour le J devant, je sais que tu avais horreur de ça. Je crois qu'une part de moi a besoin de te mettre en colère, juste pour avoir une réaction de ta part. C'est idiot, tu ne peux plus être en colère maintenant et je ne veux pas que tu le sois. Tu l'as trop été durant toute ta vie, en colère contre toi-même, en colère contre les autres, en colère contre le monde entier. Je recommence.

✉ -  81. Je prends soin de Connard, comme tu me l'avais fait promettre il y a longtemps, si jamais il t'arrivait quelque chose. Je prends soin de Hope aussi. De notre famille.

Je n'aurais jamais cru avoir à tenir cette promesse un jour. J'ai besoin de comprendre. Je croyais qu'on était heureux, je le croyais réellement. On venait de passer trois mois absolument magiques, extraordinaires. Les deux mois d'été, on avait même réussi à partir à l'océan. On avait repris les cours à la fac aussi, pendant un mois. J'avais l'impression qu'il était épanoui, que le pire était vraiment derrière nous, que tout ce que l'on avait vécu de dur, appartenait réellement au passé. Comment j'ai pu ne rien voir ? Comment j'ai pu ne me rendre compte de rien ? Personne. Personne ne s'est rendu compte de rien. Ni moi, ni son père, ni Manuel, pas même Niall, avec qui il passait un peu de temps et le professeur Edwards avec qui il corrigeait à nouveau des copies. Carla non plus n'a rien vu, ni les personnes du cabinet vétérinaire, alors qu'il avait recommencé à travailler là-bas. Comment on a pu tous se faire avoir ? Comment il a pu tous nous berner aussi facilement ?

Quand je repense à ces derniers mois passés ensemble, je me demande si c'était un cadeau qu'il m'offrait. Plein de bonheur avant de partir. Est-ce qu'il a voulu vivre une dernière fois avant de mourir ?

Ce week-end à l'océan... je ne pourrai jamais l'oublier. Quand je lui ai offert le pack avec les deux nuits dans un hôtel, ça n'a pas été facile. Il n'avait jamais réussi à quitter Londres avant, dès qu'il dort en dehors de sa chambre, il est complétement perdu et déstabilisé. L'an dernier, le nombre de fois où il a dormi dans ma chambre d'étudiant se compte sur les doigts d'une main et encore je suis gentil. Je l'ai rassuré en lui disant que le coffret n'avait pas de date limite, qu'on l'utiliserait seulement quand il serait prêt et surtout s'il en avait envie, que rien ne l'y obligeait. Un mois après environ, un soir il m'a annoncé qu'il voulait y aller. La première nuit a été délicate, il était perdu. Puis il a vu l'océan pour la première fois de sa vie, il en est tombé amoureux et notre séjour de deux jours s'est transformé en un séjour d'une semaine.

« Les vagues... c'est magnifique. »

Il était heureux à ce moment-là, je le sais, il ne mentait pas, il ne faisait pas semblant, il était réellement heureux. Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé, je ne comprends pas ce qui est arrivé, ce qui a fait qu'il n'est plus là aujourd'hui. Je crois que c'est ça qui rend les choses encore plus dures, ne pas savoir.

J'ai l'impression d'être dans un cauchemar. Dans un film. Un de ces films dramatiques où après la mort de l'un des deux personnages principaux, on a droit à une musique triste, où le deuxième personnage, celui qui a perdu l'amour de sa vie, celui qui est toujours en vie, revit tous les moments qu'ils ont vécus ensemble, comme des souvenirs. Depuis la mort d'Harry, j'ai l'impression de vivre ce moment en boucle, sauf que quand la musique se termine, il n'y a personne pour crier "Coupez !" Il n'y a personne pour me sortir de cet enfer, car c'est la réalité. Et la musique recommence encore et encore, plus douloureuse à chaque fois.

Sa guitare, la guitare que je lui ai offerte, je la fixe. C'est elle que je regarde sans cesse maintenant et non plus la baie vitrée, parce que j'ai enfin compris qu'il ne reviendrait plus jamais. Tout me rappelle à lui. J'écoute sa chanson en boucle, du matin au soir. J'écoute sa voix tout le temps, à chaque seconde, c'est la seule façon que j'ai de l'entendre encore.

Je ne supporte plus de voir ou de sentir le H tatoué sur ma peau. Ça fait trop mal. Tout seul il n'a plus de sens, le L est au fond d'une tombe dans un cimetière. Harry est au fond d'une tombe dans un cimetière. C'est pas juste, il devrait ici auprès de moi, c'est cruel. C'est pas juste. C'est pas juste. C'est pas juste.

« Tu n'es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis. » - Victor Hugo

DEGRADATION Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant