Chapitre neuf

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« Il ne veut plus de moi. » - Harry

J'avais tellement d'enthousiasme et d'espoir pour cette deuxième visite, que pas un seul instant je n'ai pensé qu'elle pourrait être identique à la première... pourtant c'est exactement ce qu'il s'est passé. Malgré le fait qu'il ait demandé à me voir et qu'il ait bu tout seul, quand je suis arrivé hier matin à l'hôpital, dans sa chambre il était toujours aussi absent. Il y avait toujours le même vide dans ses yeux. C'était dur et je n'ai pas compris, je crois que sur le moment ça m'a mis en colère. S'il parlait la veille, surtout pour me demander, pourquoi il ne me parlait pas à moi ? Je suis resté assis pendant une heure au bord de son lit à essayer encore une fois de le faire revenir à lui, à tenir sa main, à lui murmurer que j'avais besoin de lui, mais rien n'y a fait. Comme la première fois, il est resté le visage tourné vers la fenêtre à regarder l'extérieur sans le voir réellement. En sortant je suis allé voir son médecin, celui qui m'avait appelé la veille, le docteur Stephen. Il m'a expliqué qu'il ne fallait pas que je lui en veuille, il m'a rappelé qu'il avait fait une tentative de suicide -comme si je risquais de l'oublier- mais il m'a surtout appris que c'était la troisième. Sans compter celle du pont car personne n'est au courant de celle-là. Ça m'a mis une gifle. Il a tenté de mettre fin à sa vie trois fois. Trois fois. Trois « putains » de fois. Une quand il avait quinze ans, une après la mort de Samantha et une maintenant. Il m'a parlé de la maladie d'Harry, de ce qui pouvait se passer dans sa tête. Son père me l'avait déjà expliqué, mais je crois que de l'entendre de la bouche d'un professionnel, -pas que son père n'en soit pas un- mais l'entendre de cette façon-là, d'un homme en blouse blanche dans un hôpital psychiatrique c'est comme si les mots avaient plus d'impact. Le cerveau d'Harry est un bordel sans nom. Tout ce qui se passe dans sa tête est un gouffre. Ses émotions sont incontrôlables, on ne peut ni prédire et encore moins s'attendre à ses réactions, surtout pas quand il va mal comme ça.

"Il pense être une erreur sur cette terre."

Je crois que ces mots-là ont été les plus durs à encaisser de toute la conversation. Il m'a expliqué beaucoup de choses que j'avais besoin de savoir, comme le rejet qu'Harry pouvait ressentir. Il m'a dit qu'Harry avait si peu d'estime de lui-même qu'il pensait qu'on ne pouvait que le rejeter. Ça m'a rappelé ce qu'il a dit quand on jouait au billard avec son psychologue, quand il a crié que moi aussi je finirais par partir, parce que personne ne veut rester avec lui, qu'il n'en vaut pas la peine. Rien que de repenser à ça mon cœur se serre. Il m'a expliqué que dans sa tête Harry pense que tout le monde finira par le rejeter un jour et que si ça n'arrive pas il va créer lui-même ce rejet pour se donner raison. Et le pire dans tout ça, c'est qu'il n'en a pas conscience, il n'a pas conscience de certaines de ses propres pensées ou propres actes.

Je me souviens de son premier mail, il lui avait fallu une vingtaine de jours avant de me répondre. Quand je lui avais demandé pourquoi, il m'avait répondu que c'était parce qu'il avait besoin d'être sûr que je n'abandonnerais pas. Je crois que c'est ce dont il a besoin à nouveau, de s'assurer que je n'abandonnerai toujours pas. Ça n'arrivera jamais, je serai toujours là. À partir de maintenant j'ai l'autorisation de venir le voir tous les jours, le docteur Stephen a enfin compris qu'Harry avait besoin de moi. Je reviendrai demain, après-demain et tous les jours d'après. Je reviendrai chaque jour tant qu'il sera dans cet hôpital, pas parce que je ne l'abandonnerai jamais -même si c'est le cas- mais parce que sans lui, c'est moi que j'abandonne. Il est une partie de moi.

Je sors de sa chambre, c'était ma troisième visite et elle s'est passée exactement comme celle d'hier et comme la première. Il n'a pas rebu tout seul, il n'a pas reparlé depuis le soir où il a demandé à me voir. Toujours la même absence. Je ne baisse pas les bras, je viendrai tous les jours et tous les jours je lui parlerai, tous les jours je lui prendrai la main, tous les jours je lui montrerai que je suis là. Je sais qu'il va finir par aller mieux, mais j'ai conscience que ça va prendre du temps. Il a fait trois tentatives de suicide, même quatre, je ne veux pas qu'il aille mieux demain si c'est pour replonger dans quelques mois ou dans un an. Même si c'est dur de le voir dans cet état et enfermé dans cet hôpital je préfère qu'il y reste le temps qu'il faudra, je ne veux pas qu'il sorte rapidement si c'est pour recommencer plus tard. J'ai réalisé que je ne pouvais pas aider Harry, enfin si, je peux l'aider, je le veux de toutes mes forces et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ça, mais j'ai réalisé qu'il avait surtout besoin d'aide de professionnels. Il est malade et mon amour pour lui ne peut pas le sauver, pas tout seul en tout cas. Je sais qu'il sera malade toute sa vie, on ne guérit pas de troubles mentaux mais il ira mieux, il a juste besoin de temps pour ça. Je ne veux pas qu'il vive avec l'envie de mourir toute sa vie, je ne veux pas qu'il refasse une autre tentative, je ne veux pas qu'il réussisse à mettre fin à ses jours un jour. Je ne veux pas le perdre et je ne veux pas qu'il pense qu'il est une erreur sur terre, car il est tout sauf une erreur. Je veux seulement qu'il aille mieux, qu'on réussisse à mettre ce cauchemar derrière nous. Je suis prêt à tout pour ça et je sais qu'on va y arriver, peu importe le temps que ça prendra, on réussira.

DEGRADATION Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant