Chapitre onze

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« Whitney Houston a dit : "Apprendre à s'aimer soi-même est l'amour le plus vrai qui soit." Je ne serai jamais capable de m'aimer. Je ne suis même pas certain de réussir à m'accepter un jour, mais à travers les yeux de Louis, je crois que je peux essayer de me tolérer. Quand il me regarde, je me sens aimé et s'il m'aime c'est qu'il n'y a pas que du mauvais en moi. Je veux m'en convaincre. » - Harry

C'est la deuxième fois que j'ai le droit d'assister à l'un de ses repas. La première fois, c'était hier et ça n'a pas été une réussite, il n'a rien avalé, pas parce qu'il ne le voulait pas, mais parce qu'il n'y arrivait pas. Il a passé tellement de temps à être nourri par sonde ou perfusion que c'est dur pour lui de manger pour de vrai à nouveau. Autant psychologiquement que physiquement. Mais je suis fier de lui quand même, depuis qu'il a craqué, qu'on a craqué il y a trois jours, tout a changé. Enfin, une personne extérieure ne pourrait peut-être pas s'en rendre compte parce qu'il ne mange toujours pas, ne parle à personne sauf à moi et que sa coopération envers les infirmières est aussi inexistante que la classe chez Eleanor ou l'intelligence chez Josh. Mais moi je sais que tout a changé, je le vois dans son regard. La discussion qu'on a eue, pleurer ensemble, se dire tout ce qu'on avait sur le cœur a été un vrai déclic, l'élément déclencheur d'un renouveau. Il fallait qu'on vide nos sacs pour pouvoir avancer. Pour la première fois, je vois dans ses yeux une réelle envie de s'en sortir.

Mais certaines choses prennent du temps.

Je n'ai jamais été interné, je n'ai aucune idée de ce que l'on peut ressentir quand on est enfermé, quand on nous prive de liberté. Je peux prétendre en avoir un aperçu, parce que je viens le voir tous les jours, mais ce n'est pas vrai. Je viens le voir tous les jours certes, mais je suis libre moi. Quand les visites sont terminées je repars, je sors, je vais dehors, je marche dans la rue, si j'ai envie d'aller quelque part j'y vais, il n'y a personne pour m'en empêcher. Je ne connais pas l'enfermement et je ne parle pas seulement de l'enfermement physique, je parle aussi de tout le reste. Des repas, des perfusions, des médicaments qu'on lui donne, des rendez-vous avec le psychologue, l'heure à laquelle il doit se lever, se coucher, manger, se laver. Toutes ces contraintes et ces obligations sont une forme d'enfermement elles aussi. Elles sont peut-être même plus dures à vivre que le fait de ne pas avoir le droit de sortir, d'être bloqué entre quatre murs. Peu de gens supporteraient ce qu'il supporte, je suis fier de lui.

Le bruit de la fourchette qu'il repose sur le plateau me ramène à moi. "Tu n'y arrives pas ?" Il secoue la tête en se renfonçant dans ses oreillers, même si le haut du lit est redressé pour qu'il soit assis. Je retire mes chaussures et m'assois en face de lui en tailleur, en faisant attention à ses jambes. La table roulante est entre nous. D'ailleurs j'ai toujours trouvé ces tables super pratiques pour manger au lit. Je devrais peut-être en emporter une quand il sortira, mouais enfin c'est pas comme les savons qu'on embarque quand on quitte un hôtel, c'est moins discret ça. Je me penche pour regarder encore une fois le contenu de son assiette en plastique. Comme ça fait longtemps qu'il n'a pas mangé de vraie nourriture, il n'a droit qu'à des choses qui ne sont pas trop solides. Il a une espèce de purée bizarre avec un morceau de viande qui a plus été bouilli que cuit. Je n'arrive pas à retenir une grimace.

"Eurgh."

Je me reprends, car je suis censé l'aider, pas le dégoûter encore plus. J'essaie mais c'est pas vraiment une réussite.

"Pardon mais je comprends pas pourquoi ils t'infligent ça, c'est encore pire comme punition que les réunions de groupe."

Il soupire. Dans la matinée le Docteur Stephen est passé pour lui demander d'assister à la réunion du lendemain et après un long monologue argumentaire, Harry a fini par accepter d'un hochement de tête. Je sais qu'il a dit oui seulement pour le faire taire et le faire partir parce qu'il ne supportait plus sa présence. Bon, niveau amabilité il y a encore du travail, mais je ne suis pas certain qu'à sa place je serais plus aimable avec l'homme qui m'a attaché à mon lit, alors je ne peux pas trop lui en vouloir.

DEGRADATION Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant