Chapitre quatorze

11.6K 667 872
                                    

"Harry était une personne exceptionnelle. Je pense que si vous êtes ici aujour..."

Ma gorge se serre, je suis obligé de m'arrêter. Je relève la tête vers l'assemblée, vers les personnes présentes. La douleur sur leurs visages. Mon regard se pose sur le cercueil devant moi, sur les fleurs qu'il y a dessus. Sur le corps d'Harry à l'intérieur, que je devine sous le couvercle de bois clos. Je ferme les yeux plusieurs secondes et inspire lentement pour tenter de me reprendre.

"Si vous êtes ici aujourd'hui c'est... si vous êtes ici c'est- je ne peux pas."

C'est Harry à l'intérieur de ce cercueil. C'est Harry dedans. C'est Harry qu'on s'apprête à mettre en terre putain. Harry. "Je ne peux pas." Je secoue la tête frénétiquement, les larmes me brouillent la vue, j'ai du mal à respirer. "Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas." Je tombe à genoux et m'effondre en larmes. Barthelomé m'aide à me relever et dans les secondes qui suivent je me retrouve dans les bras du coach. J'entends à peine les mots du prêtre tellement je pleure. Brisé, je suis complétement brisé de l'intérieur.

Le sermon dure une éternité ou une fraction de seconde, la douleur est trop forte, elle efface le temps. Son père est incapable de parler lui aussi, trop effondré. Je suis à genoux au sol, les bras du coach autour de moi, mes yeux ne quittent pas le cercueil. Mes yeux ne quittent pas Harry. Quand ils le descendent en terre, la seule chose qui me retient de ne pas me jeter dans le trou pour les en empêcher, pour être avec lui, c'est mon manque de force. Je suis incapable de bouger, tout juste capable de respirer. J'ai le sentiment de mourir un peu plus à chaque seconde. Les gens jettent à tour de rôle une poignée de terre. Je ne veux pas, je ne veux pas le faire, je ne veux pas jeter de la terre. Je ne veux pas lui dire au revoir. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Tout ça ne peut pas être réel, tout ça ne peut pas être vrai. Je me remets à pleurer, des pleurs de détresse. Le coach m'emmène à l'écart. Je me retrouve à l'arrière de sa voiture. Vide, je suis complétement vide. Je regarde la neige tomber à travers la vitre. De loin je vois l'attroupement, le groupe de personnes qui tenaient à Harry, qui ont fait partie de sa vie d'une manière ou d'une autre et qui sont en train de l'enterrer sans savoir qu'ils m'enterrent moi aussi.

Une fois de retour chez Harry, je monte immédiatement dans sa chambre. Je ne veux pas assister à cette cérémonie. Je ne veux pas voir les gens déambuler dans sa maison en mangeant des petits fours. Il aurait détesté ça, il aurait détesté voir toutes ces personnes chez lui. Je ne veux pas entendre leurs condoléances, je ne veux pas voir la tristesse dans leurs regards. C'est égoïste car je ne suis pas le seul à souffrir je le sais, son père n'est plus que l'ombre de lui-même, je ne sais pas où il trouve la force de supporter cette journée, moi je ne l'ai pas. Je m'enferme dans sa chambre avec Connard et Hope en laissant la baie vitrée entrouverte pour qu'ils puissent sortir. Hope sait monter et descendre les escaliers seul maintenant, heureusement car même ça j'aurais été incapable de le faire. Je m'allonge sur son lit et me roule en boule dans mon costume noir que je déteste tout autant que cette journée que je déteste plus que tout.

C'est le néant en moi.

Trois jours. Trois jours qu'Harry a été enterré. Trois jours que je n'ai pas bougé de son lit, seulement pour aller aux toilettes. Je ne me suis pas changé, ni lavé, je porte toujours mon costume d'enterrement. Trois jours que je n'ai pas mangé, pas bu. Je me laisse mourir. Je me sens faible, pourtant la souffrance elle, est toujours aussi forte. Le vide, la douleur. La douleur et le vide, c'est tout ce que je ressens. Je passe mes journées à fixer sa baie vitrée, attendant qu'il rentre de la fac ou du cabinet vétérinaire, mais il n'arrive jamais. Les nuits sont encore plus dures, je les passe à fixer les étoiles du plafond, mais pour moi elles ne brillent plus. Elles se sont éteintes en même temps que lui. Quand je ferme les yeux, quand j'arrive à m'endormir, il est là, il est de nouveau à mes côtés. Je peux le voir, je peux sentir sa présence, ses bras qui m'entourent, il me rassure, il me murmure qu'il n'est pas parti, qu'il sera toujours auprès de moi. Quand je me réveille, l'enfer est de retour, je fixe sa place vide dans le lit. Chaque matin est plus douloureux que le précédent. Je ne pleure pas, je n'ai plus pleuré depuis le jour où on l'a mis en terre. Je n'ai plus de larmes, j'en ai trop versé.

DEGRADATION Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant