Second Mouvement

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Je cours. Loin, très loin. Mes jambes bougent si vite que je ne les contrôle plus. Le vent s'engouffre dans mes oreilles, les rendant sourdes à tout autre son. Mes cheveux sombres volent dans mon dos, et des mèches éparses chatouillent occasionnellement mon visage. Le souffle du vent, devenant de plus en plus fort face à moi, fait pleurer mes yeux bruns. Un point de chaleur prend naissance dans mon ventre avant d'éclore pour se répandre petit à petit dans chaque partie de mon corps. C'est comme une drogue finalement, car ne peux pas m'arrêter... Je cours inlassablement sans savoir où je vais. Mais cela m'importe peu, parce que je suis libre.

~

Je me réveille avec une sensation de bien-être et de joie. Mes paupières papillonnent quelques instants, et la douce chaleur de mon rêve m'enveloppe encore.

J'ai couru ! Je cours...

Et puis tout me revient. Ce n'était qu'un rêve. Un simple rêve. Je ne peux pas courir et je ne le pourrais jamais. Je déteste cette sensation, au réveil, où l'on oublie tout, où l'on est encore plongé dans les brumes du sommeil. Après avoir passé cette phase, la douleur revient plus puissante encore. Je hais tout ça !

De plus, cela me fait ressasser tout un tas de mauvais souvenirs... J'avais une voisine, avant de déménager là où j'habite en ce moment, qui vivait seule avec son fils unique. Il devait avoir la vingtaine. Je le connaissais, il était gentil avec moi, et m'offrait souvent des sucreries. Il m'appelait toujours « petite fleur » et était au courant pour ma maladie, ce qui ne le faisait pas fuir, contrairement aux autres personnes.

Un jour, il fut renversé par une voiture. Il fut transféré à l'hôpital, mais décéda quelques heures plus tard de ses blessures. Quand sa mère l'apprit, elle devint comme folle.

Et puis, les matins suivant le jour de sa mort, vers huit heures on entendait un cri. Un cri morbide, déchirant, empli de douleur, de chagrin et d'amour, venant de la maison de cette mère en deuil. Elle se réveillait et se souvenait. La douleur devait lui vriller le cœur à en faire mal. Peut-être avait-elle rêvé de lui ?

C'était affreux. Il s'appelait Émile. Et, tous soirs de mon enfance, je pleurais pour lui.

Je me réveillais avec ce cri guttural résonnant dans mes oreilles quasiment chaque matin. Parfois, je criais à mon tour, et ma voix aiguë de petite fille se mêlait aux sanglots rauques et saccadés de la quinquagénaire.

En repensant à ces moments, les larmes me montent aux yeux. J'étouffe... De l'air !

Je bondis de mon lit et me dirige soudain vers la fenêtre. J'ai besoin d'air frais ! Je l'ouvre en grand et le vent froid d'hiver s'engouffre dans ma chambre, faisant voler mes rideaux qui étaient encore fermés.

J'inspire. J'expire...

La brise fraiche pique mon nez et me glace la gorge, mais cela fait du bien. Je ne suis pas morte dans mon sommeil. C'est déjà ça. Je lève la tête. Par ma fenêtre, je vois la mer. D'ici, elle est encore plus belle qu'au bord de la falaise. Elle s'étend à l'infini, calmement, à perte de vue, sous l'horizon où le soleil clair de février vient de se lever. Cet océan plat, immense, me rappelle ma solitude intense. J'en oublie presque ce jeune homme et sa mère.

Mais, d'un coup, je ne veux plus regarder... Je ferme brutalement la fenêtre, me rue près de mon lit où se trouve mon instrument, sors mon violon de sa boite et commence à jouer. Dans ces moments-là, seul jouer de la musique m'apaise.

Je ne sais pas ce que je joue, pourtant. Je laisse mes doigts bouger tout seuls sur le manche de mon violon. Cela me fait du bien. Le bruit que produit mon archet sur les cordes, le son qui sort de cet instrument, est triste. Triste à en mourir. Parce que, en pensant à cette femme, je me suis vue en son fils. Si je meurs... Si je meurs, il n'y aura personne pour me pleurer le matin, au réveil.

CerbèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant