Second Mouvement

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Assise au bord de la falaise, je m'amuse à jeter de petites pierres, ramassées près de la maison, dans l'océan trouble et agité. En cette matinée maussade, le ciel, teinté d'un gris sombre, annonce l'arrivée imminente d'un orage.

Le vent frais joue avec mes cheveux et soulève le tissu de mon pull vert, le relevant légèrement. Je n'ai pas froid, malgré le temps hivernal et l'absence de soleil. Le sol de pierre dur et inconfortable m'oblige constamment à changer de position, mais je suis bien.

Pour une fois, je ne pense pas à Cerbère. Il ne ronge pas anxieusement mes journées en agressant continuellement mon cœur. Ou alors, peut-être que je ne le sens tout simplement pas, car mes pensées sont dirigées ailleurs.

Il faut que j'arrête de penser à lui...

En quelques années, je suis complètement renfermée sur moi-même. J'ai chassé mes derniers amis, et je rabrouais sèchement n'importe quel étranger ayant le malheur de me parler. J'étais seule, je n'avais aucun ami. Mais, maintenant que j'en ai un, que je connais enfin quelqu'un sur qui compter, j'ai envie qu'il parte...

Parce que je ne suis pas prête. Je ne suis pas prête pour tout cela. Un jour, je devrais lui dire pour Cerbère, et je ne sais pas de quelle façon il réagira.

En plus, avec la dernière fois... C'est vrai, quelque chose d'anormal s'est produit quand je l'ai vu, il y a deux jours. Je suis presque sûre qu'il a failli m'embrasser. À cette seule pensée, mes joues s'embrasent, et je sens une douce chaleur se rependre au creux de mon ventre. Mieux vaut ne pas trop penser à cela, surtout qu'il ne s'est absolument rien passé.

Enfin, presque rien.

Je jette un dernier caillou dans la mer en soupirant. Pourquoi est-ce si dur pour moi de savoir ce que je ressens ?

Je soupire alors qu'un bruit de moteur parvient à mes oreilles. J'entends les pneus d'une voiture crisser sur les graviers qui parsèment l'allée menant à la maison.

Je ne me retourne même pas. Si c'est mon père, je n'ai aucune envie de le voir. Il était plus qu'outré après la dernière fois. D'accord, je l'ai laissé seul au beau milieu d'une rue après, avoir rendu visite à ma mère. Ce n'était pas très gentil. De toute manière, je me fiche de ce qu'il ressent autant que de qui cela peut être. Il ne se passe jamais rien d'intéressant ici. Mais après quelques minutes, j'entends une personne approcher dans mon dos, se déplaçant rapidement à petits pas feutrés.

-Rose, fait la voix excitée d'Adèle dans mon dos. Rose, ma chérie, viens voir.

Ma chérie ? Adèle ne m'a quasiment jamais appelée « ma chérie », sauf quand elle avait des choses vraiment importantes à m'annoncer. Elle l'a fait lorsque l'état de ma mère s'est aggravé, par exemple. Le jour où cette dernière a fait une rechute. Je me souviens parfaitement de sa voix faible et chevrotante, ayant perdu sa détermination habituelle. Je me souviens également de sa vaine tentative d'apaisement à mon égard, alors que je perdais la tête, criant pendant que les larmes chaudes ruisselaient sur mes joues.

Aujourd'hui, sa voix n'est pourtant pas timide et brisée par la compassion. Elle est légèrement rauque, marquée d'une pointe d'excitation. Je décide de me retourner et de me lever. 

-Que se passe-t-il ?

-Elle est revenue, Rose. Elle est là !

Elle me prend par les épaules, et je remarque que ses yeux sont brillants. Brillants de larmes. Un large sourire éclairé son visage ridé, et elle semble avoir couru, car son chignon est complètement défait. Pourtant, ma gouvernante rayonne tellement qu'elle pourrait éclairer la Terre entière. Ne comprenant pas trop ce que tout cela signifie, je l'interroge du regard.

CerbèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant