Septième Mouvement

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Je gratte les cordes de mon violon. Mon archet semble se mouvoir par sa propre initiative et le son sortant de l'instrument de bois verni est magnifique. Mais l'envie n'y est pas. Je pensais me rapprocher de la perfection et pourtant, j'ai l'impression que chaque note jouée m'en éloigne un peu plus. Toutefois, je continue.

Quand je joue, je ne pense plus à lui. Ou beaucoup moins.

J'ai toujours du mal à prononcer son nom, à présent. Il devient ce « lui » ou ce « il » que je ne peux plus nommer, comme si je ne le connaissais pas.

D'ailleurs, quand je revois l'expression sur son visage lors de notre dispute, je me dis qu'il est comme un étranger pour moi. Je me rends enfin compte qu'il l'a toujours été.

Je ne le connaissais pas vraiment, je le sais, maintenant. J'étais amie avec une de ses facettes, avec une partie de sa personnalité. La seule partie qu'il a bien voulu me montrer. Et, petit à petit, je suis tombée sous le charme d'une image, d'une pâle imitation de ce qu'il était réellement. Je ne m'en rendais même pas compte. J'étais comme aveuglée par son sourire et hypnotisée par un mirage.

En vérité, je suis amoureuse d'une personne qui m'est inconnue.

J'étais ! Pas, je suis ! Je ne l'aime pas... Je ne l'aime plus !

Je soupire et pose mon violon sur mon lit à la couverture mauve en soupirant. Visiblement, je ne peux pas m'arrêter de penser à lui, ne serait-ce qu'une seconde. Je soupire et sors de ma chambre.

En descendant lentement les escaliers de bois sombre, j'entends les pneus d'une voiture crisser dans l'allée, devant la maison. Ce doivent être Adèle et maman qui rentrent du supermarché.

Adèle devait aller faire des courses et ma mère voulait l'accompagner. Elle disait qu'elle se sentait bien, qu'elle pouvait sortir et qu'elle avait besoin d'air frais. Personnellement, je ne me serais pas rendue au supermarché pour rechercher de l'air frais, mais bon. Je suis quand même étonnée qu'Adèle ait accepté, car mon père insiste beaucoup pour que maman reste tranquillement à la maison, sans sortir.

Toutefois, je ne pourrais pas rester enfermée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, alors je comprends l'envie précipitée de sortie de maman. Papa désapprouverait, ce qui rend cette idée d'autant plus géniale.

Trois petits coups toqués à la porte me sortent de ma rêverie. Visiblement, ce ne sont pas ma gouvernante et ma mère, car aucune des deux ne prendrait la peine de toquer. Il est totalement exclu que ce soit mon père, qui est en déplacement pour son travail.

Peut-être le facteur ? Ou un vendeur quelconque ?

C'est alors qu'un frisson me parcourt l'échine. Peut-être que c'est lui... Non. Ça ne peut pas être lui. Impossible.

Et pourtant, chaque cellule de mon corps me crie que j'ai vu juste, que mon intuition est bonne. Que derrière la porte se tient la dernière personne que j'aie envie de rencontrer aujourd'hui.

Léo.

Après tout, il sait où j'habite. Il ne l'a sûrement pas oublié. Morte de trouille, j'avance lentement vers la porte, tous mes sens en éveil.

Calme-toi.

Je ne peux pas être sûre que c'est lui. Après la dernière fois, il ne doit pas avoir envie de me parler. Je déverrouille lentement la porte, comme dans un état second. Malgré le fait que je m'y attendais, le voir me cloue sur place. Mon cœur se serre alors que j'observe Léo et qu'il fait de même.

Sous le soleil clair, ses cheveux or semblent presque blond platine. Ils semblent également plus ternes. Mais ce qui me frappe le plus, ce sont les immenses cernes qui creusent sa peau sous ses yeux chocolat. Je ne discerne aucune joie en eux, le la lueur heureuse qui faisait pétiller ses prunelles s'est envolée.

CerbèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant