Sixième Mouvement

298 70 116
                                    

Je m'autorise à me laisser aller. Je pleure sans un bruit, tristement. Plus rien n'existe autour de moi, excepté Léo et ses bras qui m'entourent. Pendant un instant, j'oublie presque tout. Ma mère tombée malade à cause de moi, du minuscule être qu'elle a mis au monde et qui portait déjà sur ses épaule le fardeau d'une famille déchirée. Mon père qui me tient pour responsable de l'état de ma mère. Cerbère qui oppresse ma poitrine.

Plus rien n'a d'importance, parce que je suis avec lui.

Je n'avais pas remarqué qu'il était si grand. Ma tête repose au niveau de son torse, alors que je ne suis pas petite taille, au contraire. Je me sens en sécurité, protégée... et je suis bien.

Mais à quoi est-ce que je pense là?

La bulle de sécurité dans laquelle j'étais éclate, et je reviens à la réalité. Nous ne sommes pas seuls. Je suis en train de pleurer dans les bras de quelqu'un devant la quasi totalité du lycée.

Je m'écarte vivement de Léo, les joues en feu, le visage baigné de larmes salées. Je remarque qu'une dizaine de paire d'yeux sont braquées sur nous. Le garçon brun qui tenait compagnie à Léo, quelques minutes plus tôt est à l'autre bout de la cafeteria, bouche bée. Il ressemble à un poisson. Ce simple constat aurait suffit à me faire rire si ma situation n'avait pas été aussi gênante. Je jette un regard affolé à Léo. À mon grand étonnement, il est en train de sourire, se fichant royalement de l'intérêt qu'il suscite.

— Viens, me souffle-t-il au bout de quelques instants.

Il se dirige vers la sortie et je lui emboite le pas, heureuse de pouvoir quitter cet endroit. Je remarque que même si quelques élèves nous regardent encore, la plupart ne nous prêtent plus attention. C'est vrai que nous ne sommes pas vraiment très intéressants... Le soulagement m'envahit, jusqu'à ce que je croise un regard bleu glacial appartenant à une fille, assise. Son regard meurtrier m'angoisse au plus haut point, mais je le soutiens, ne voulant pas passer pour une lâche. Puis je me détourne et lève la tête en adoptant une posture fière malgré le fait que je viens de sangloter en public. Cette fille ne m'impressionne pas. Personne ne m'impressionne.

Léo et moi parvenons enfin aux portes de la cafeteria et sortons. Nous nous arrêtons non loin de la grande porte bleue permettant d'y accéder. Mon sauveur soupire et se met à rire.

— Qu'est-ce qu'il y a de drôle?

Je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour.

— Tu aurais vu ta tête, quand tu as remarqué que tout le monde nous observait! C'était mémorable, s'exclame-t-il. On aurait dit que tu allais t'enfuir en courant.

Mon sourire se fige. Si seulement je le pouvais. Léo ne semble pas remarquer l'effet que cette phrase a eu sur moi et me sourit.

— Merci de t'être confiée. Ça n'a pas dû être facile.

J'essuie les larmes qui barbouillent mon visage. Je préfère ne pas imaginer à quoi je dois ressembler en ce moment...

— C'est sûr. Mais tu avais raison. En parler m'a fait du bien, même si on se connait à peine.

Et c'est vrai. Une tristesse immense m'envahit, en pensant à toute cette histoire, mais... j'arrive à prendre du recul, à accepter ma souffrance.

— Merci à toi, plutôt, d'avoir écouté mon histoire barbante. Tu n'étais pas obligé.

Son sourire retombe.

— Ton histoire n'est pas barbante, Rose. Ne laisse personne insinuer une chose pareille. Elle est en toi, elle fait partie de toi... Elle te rend différente. C'est ton histoire, et elle n'appartient à personne d'autre. Tu n'as certes pas vécu un passé très heureux, mais c'est le tien, et il fait ce que tu es. Jamais personne ne pourra changer cela. Tu dois l'accepter, c'est tout.

CerbèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant