Chapitre 5

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(Angelia)

-Mon petit démon, où es-tu? Ricane mon père.

     Je retiens un sanglot et couvre ma bouche de ma main. Il faut toujours faire le moins de bruit possible avec lui. Je l'entends rigoler et s'approcher du placard.

     Je n'entend plus rien. Peut-être est-il parti? Je sors discrètement du placard, et cours jusqu'à la porte d'entrée du petit appartement. Mais soudain, je vois un bras devant moi et n'arrive pas à me stopper à temps, me le prenant en pleine figure. Explosant mon nez au passage.

-Tu croyais t'échapper Angelia?

-Non! Non je te le jure papa... Je t'en pris! Sanglotais-je, le visage ensanglanté.

-Ferme-la! Hurle-t-il en mettant un coup de pied dans mes côtes.

     Le coup est si violent que j'en perds mon souffle. Je crache du sang par terre et cours m'enfermer dans ma chambre. J'essaie de fermer ma porte, priant pour que je sois plus rapide que lui. Mais son pied interrompt mon effort et d'un coup rageur, il rouvre violemment la vieille porte. Je saute sur le lit pour lui échapper mais trop tard, il attrape ma cheville et je m'effondre sur le matelas, ma tête frappant violemment le côté du lit. Légèrement sonnée, je ne le sens pas me relever, puis me tirer sèchement par les cheveux pour que j'arrive à sa hauteur.

-Où vas-tu petit démon? Je n'en ai pas fini avec toi!

     Son souffle tiède me fait grimacer. Il a encore bu, comme le fidèle alcoolique qu'il est.

-Tu as essayé de t'enfuir non? Tu sais quel est le prix à payer!

     A ses paroles mes tripes se tordent de peur, si violemment qu'une nausée incontrôlable me prend. Apres l'avoir contrôlée, je retrouve la parole et tente de raisonner papa.

-NON! Non non pitié, papa je suis désolée! Je t'en pris, je t'en supplie non! Je hurle, inconsolable.

     Lorsque j'essaie de m'enfuir c'est la pire des punitions qui m'attend. Il m'avait prévenu dès le début, je le sais depuis toujours, mais aujourd'hui j'étais à bout. Hier il m'a battu jusqu'à ce que la douleur enveloppe chaque cellule de mon corps, et que je m'évanouisse sur le parquet. Ce matin j'étais toujours à la même place, baignant dans mon propre sang que j'avais craché la veille. J'ai mis plusieurs minutes avant de pouvoir me relever, tant la douleur était atroce. D'immenses bleus trônent sur mes bras, mes jambes et mon ventre maintenant. Si sensibles, qu'ils m'arrachent une grimace à chacun de mes mouvements.

     Il m'entraîne dans la cuisine en appuyant sévèrement sur mes hématomes et sort la chose qui me terrifie même dans mes songes les plus profonds.
     Le chalumeau.
     Il l'allume et l'approche de moi, un sourire malsain sur son visage. Je sens déjà la chaleur me caresser la peau. Il soulève mon tee-shirt troué et me regarde avec une telle cruauté que j'en perds mon souffle. Il l'approche de ma peau colorée de bleus et s'amuse à me frôler avec la flamme. La douleur est déjà présente, mais je sais que le pire est à venir.
    Puis sans crier gare, il le pose sur mon ventre...           

     Mon monde s'arrête. La douleur est insupportable et je crie, encore et encore. La chaleur fond ma peau et je ne peux m'empêcher de hurler tellement j'ai mal. J'ai mal physiquement oui, mais moralement aussi. Mon père. Mon propre père. Alors je fais la seule chose qui me permet de m'exprimer. Je cris jusqu'à m'en briser les cordes vocales.

     Je sens des choses tomber sur ma tête. Des choses douces, molles et silencieuses. J'ouvre les yeux toujours en hurlant, n'étant pas capable de me calmer immédiatement.

     Un cauchemar. Ce n'était qu'un cauchemar. Calme-toi Angelia, je t'en supplie.
     Je regarde autour de moi et remarque deux yeux noirs me fixer avec inquiétude. J'essaie de reprendre mon souffle et essuie mes joues trempées de larmes. Par réflexe, je relève légèrement mon tee-shirt pour calmer la douleur. Je la sens, ma cicatrice. Elle me fait mal lorsque je la frôle de mes doigts glacés et moites du souvenir de ma terreur.

     Encore une fois je reçois quelque chose sur la tête. Je regarde l'objet en question. Une peluche. Et je vois que le lit en est rempli.

-Des peluches? Demandais-je d'une voix brisée.

     A ma parole il écarquille les yeux et un sourire en coin apparaît sur ses lèvres pleines.

-Tu parles!

-Rarement. Retourne te coucher.

-Alors quoi? Même pas un merci?Je viens quand même de te réveiller, apparement, d'un horrible cauchemar!

-J'aurai aimé qu'on me réveille lorsque ça m'est réellement arrivé. Crachais-je.

     Je ne peux m'empêcher d'être cassante. Je ne sais pas être sympathique. Je ne l'ai jamais été puisque je n'ai jamais eu d'amis.

     Il baisse les yeux. Compatissant. Je ne veux pas de sa pitié. Personne ne devrait avoir pitié d'une personne qu'on déteste.
Mais il se reprend vite et affiche, désormais, un regard mauvais.

- Pas besoin de faire ta conne. Salut.

     Je ne lui réponds pas et attends qu'il sorte de ma chambre, avant de fondre en larmes. Oui c'est vrai, toute la journée revoir ces images, c'est horrible. Mais c'est encore pire lorsqu'on les revit avec la douleur, les détails et la vive impression que tout est réel.

     Je me lève et me dirige vers la salle de bain dans le couloir. La chambre de Zachary est fermée. Je suppose qu'il s'est rendormi.

     J'ouvre le robinet et me passe de l'eau sur la cicatrice de ma brûlure. La douleur est encore présente dans ma tête. Et je pense qu'elle le sera toujours.

     Je m'observe dans le miroir. J'ai d'immenses cernes comme d'habitude. Mon coquard n'a pas diminué et commence à virer au jaune. Ma lèvre, elle, se met à dégonfler. Enfin.

     Demain j'ai cours. Ça ne m'angoisse pas. Ce sont des cours. Des enseignements qui nous permettent d'avoir un métier dans cette société. Serai-je assez intelligente pour ça? Je l'espère, bien que mon avenir est encore très flou dans mon esprit. C'est vrai, qu'est-ce que je vais devenir? Je n'ai plus mon père, je n'ai plus personne. Et je ne pourrai jamais travailler comme le veux ce monde. Alors que faire? Tant de questions qui restent sans réponse.

     Mais ce qui caractérise le plus un lycée, se sont les élèves. Je ne suis pas sociable. Je n'ai pas à avoir peur de ne pas me faire d'amis. Je ne veux pas d'amis. Et puis Zachary m'a clairement fait comprendre qu'il ne me dérangera pas. Ça me soulage même. Je ne veux aucune compagnie. Je veux être seule. Comme je l'ai toujours été.

Take Me Away [ÉDITÉ EN VERSION PAPIER] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant