Le Temps Des Sortilèges - Tome 1- Dame Blanche

VII

Natacha courait depuis longtemps et et s'enfonçait dans la forêt dont les branchages nus lui griffaient le visage, et s'accrochaient à sa longue chevelure en bataille. Elle s'arrêta à bout de souffle, exténuée par cette course folle, avant de faire volte face pour s'assurer que l'énergumène plutôt persistant, pour ne pas dire collant, ne l'avait pas suivie. Mais contre toutes attentes, le bois était désert. Alors qu'elle se croyait définitivement seule, elle entendit le hululement perçant de ce qu'il lui semblait être un hibou. Et sous ses yeux ébahis, une chouette, dont la couleur des plumes contrastait avec la noirceur de la forêt se posa sur une branche courbée, juste assez pour la surplomber. Pendant quelques secondes, Natacha fixa son regard dans celui du rapace s'émerveillant devant ces prunelles azures aussi belles que perturbantes.

- Quel genre d'oiseau es-tu donc, toi ? S'adressa-t-elle à la chouette qui pencha la tête sur le côté pour seule réponse se qui fit rire la jeune femme.

-Tu ne comprends pas un mot de ce que je te dis hein ? Ricana-t-elle. T'es un oiseau, aussi...

Elle réalisa alors l'absurdité de ses paroles :

" Cet homme m'est tellement monté à la tête que j'en suis réduite à parler à un oiseau!

Elle se frappa le visage avec la paume de sa main, tout en se répétant inlassablement à quel point elle était stupide.

Reprenant de la contenance, elle jeta un coup d'œil circulaire pour rendre compte de sa situation et constata à quel point celle-ci était...désespérée. Sale, vêtue de haillons, mouillée de la tête aux pieds et frigorifiée par la bise hivernale qui s'insinuait entre les branches mortes, elle n'irait pas très loin ainsi, avant de s'attraper une bronchite ou pire. Ses cheveux blonds dorés lui tombaient sur les yeux et collaient à sa peau humide de sueur, et de l'eau des douves. Elle arracha un pan de sa robe et attacha négligemment ses longues mèches qui commençaient sérieusement à l'encombrer, avant de réfléchir.

Résolue à sortir de ce bois terrifiant et infiniment glauque, tout en oubliant bien vite le rapace qui la dévisageait toujours, Natacha s'engagea sur le semblant de sentier qui se profilait devant elle, en évitant soigneusement les ronces épineuses et les branchages qui la menaçaient à chaque pas. Elle ne fit pas plus attention à la jolie chouette, qui ne cessait de la suivre du regard, avant de finir par s'engager à sa suite.

L'oiseau sautillait de branche en branche et ne semblait pas décidé à la quitter, mais la jeune femme ne le remarqua qu'au bout d'un certain temps. Au lieu d'être effrayée comme elle aurait dû l'être, elle se sentit plutôt rassurée par cette présence discrète, loin d'être oppressante comme on aurait pu le croire. Sans broncher, elle laissa le volatile la suivre jusqu'à ce qu'elle arrive à une petite intersection. Le chemin se séparait effectivement en deux, avec d'un côté, un sentier devenant de plus en plus sombre, et des branches de plus en plus épaisses comme pour dissuader quiconque de s'y engager. Et de l'autre côté, à droite, un chemin bien plus lumineux, avec quelques rayons de soleil qui s'y infiltraient de plus en plus facilement, comme pour indiquer une potentielle sortie. Dans la tête de Natacha, le choix était tout fait:

" À droite ! S'exclama-t-elle sans l'ombre d'une hésitation.

Mais alors qu'elle y dirigeait ses pas, elle remarqua que le rapace ne la précédait plus. En effet, il s'engageait sur la seconde voie, lui jetant des petits coup d'œil persistant.

" Mais qu'est ce que tu fais? S'écria-t-elle sidérée face à l'attitude désinvolte de la chouette immaculée. Est-ce que tu te rends compte que par là, ( dit elle en désignant son chemin) c'est la vie. Et par là, ( en pointant l'autre du doigt) c'est la mort!"

La chouette pencha de nouveau la tête sur le côté. En soupirant, Natacha constata qu'elle parlait de nouveau à l'oiseau.

" Faut vraiment que je sorte de cette foutue forêt, elle me rend folle..."