XXXIX

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Guillaume chevauchait sa monture ébène sur un long chemin rocailleux bordé par un petit bois. Le pas tranquille de Raven était accordé avec la cadence lente et à l'atmosphère lourde autour de la petite troupe qui voyageait derrière lui. Le jeune homme poussa un léger soupir en jetant un regard en arrière. Non pas que la longueur de la marche l'affecte, mais parce qu'il lui semblait, lui aussi, traîner la mort de Nathanaël comme un fardeau inévitable. Il ralentit doucement pour caler son destrier noir au rythme de la charrette qui transportait une grande partie de leur affaire et les deux jeunes femmes. Le châtelain observa Blanche dont les yeux paraissaient perdus dans les abîmes d'une peine douloureuse. Le jeune homme n'ignorait rien du lien particulier qu'il y avait eut entre le jeune garçon et la demoiselle de ses pensées, et ne put que prier pour qu'elle puisse trouver la sérénité et la paix en elle-même.   

De son côté, Natacha avait l'étrange impression d'être hors du temps. En faisant glisser son regard sur le paysage qui défilait nonchalamment devant elle, elle devina les bourgeons des fleurs et des feuilles se dessiner parmi les branchages presque filandreux des arbres dénudés. Le printemps commençait à se creuser une place au sein de la froideur hivernale qui maintenait tous les être vivants en état de quiescence. Mais à la différence du temps, dont le renouvellement alimentait le cycle de la vie, le cœur de la jeune femme semblait connaître un hiver éternel. Ne pouvant se soustraire à la réalité de la mort précoce de son ami, elle subissait la lancinante douleur qui assaillait sa poitrine à chaque pensée pour lui. 

***

Après trois jours de trajet sans événement notable, les épais murs de la forteresse de Cheralye apparurent enfin dans le lointain. Le voyage s'était déroulé dans le plus grand des silences pour Natacha dont les lèvres semblaient avoir été scellées par cette tristesse incommensurable qui la rongeait depuis le départ de son petit Nathanaël. Même si celui-ci l'avait exhortée de ne pas s'en vouloir, il ne se passait pas une seule minute sans que la demoiselle ne se sente coupable ou ne regrette de n'avoir pas reçu cette flèche qui lui était destinée. Le vide que le petit garçon avait laissé après son départ était une plaie béante et profonde dans le cœur de la jolie blonde, vide qui ne serait probablement jamais totalement comblé. Elle le considérait comme un petit frère, et elle n'avait même pas su le protéger convenablement...Maintenant qu'il n'était plus, elle sentait l'ampleur de l'attachement qu'elle éprouvait pour lui. Guillaume avait, pour sa part, tenté maintes fois de la détourner de cette profonde mélancolie dont elle était la proie, mais se fut sans succès, la jeune fille demeurant de marbre à chacune de ses vaines tentatives. Saroya, tout aussi affectée de cette perte, si ce n'était plus, exprimait sa douleur, à travers ce flot presque intarissable de larmes qui ne cessait de s'échapper de ses beaux yeux noirs, laissant peut-être ces petites perles salées emporter un peu de sa souffrance dans leur chute. Pour le reste du groupe, l'expression de leur ressenti fut bien moins explicite mais les sentiments éprouvés par tous n'en demeuraient pas moins douloureux. La mort du plus jeune d'entre eux avait ravagé, tel un cataclysme, leur moral mais aussi leur confiance et leur courage... Voir un de leur membre se faire tuer sous leurs yeux, venait de rendre la perspective d'une possible mort bien plus présente et plus effrayante, mais c'était aussi le reflet de la cruauté de leur adversaire qui n'hésiterait apparemment pas à user des stratégies les plus pernicieuses afin de les déstabiliser. 

Le soleil, jouant dans les reflets de miel de la chevelure de Natacha, semblait inconscient de la pesante atmosphère autour de la caravane, et apportait cette seule note de joie dans ce tableau aux sombres couleurs du désespoir. La température avait gagné quelques degrés et faisait fondre par endroits la nappe immaculée de neige pour rendre le chemin plus visible,  mais aussi moins praticable, à cause d'une boue visqueuse formée par la fonte, dans laquelle les roues de l'attelage s'enlisaient régulièrement. Heureusement la force surhumaine du jeune seigneur aidait grandement lorsque ce genre d'incident se produisait, évitant ainsi un ralentissement considérable.

Le Temps Des Sortilèges - Tome 1- Dame BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant