XVI

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Les quelques jours qui suivirent l'incident à la source furent plutôt tranquilles. Blanche suivait le tempo des heures, continuant son travail dans l'auberge, au grand dam du seigneur qui ne cessait de revenir à la charge pour tenter de la convaincre de quitter l'établissement dont il qualifiait les activités "indignes de sa personnes et de son rang". En effet, en apprenant son pseudo statut de noble, il avait redoublé d'ardeur, trouvant certainement l'argument plus convaincant pour la faire céder.

Blanche savait que l'aubergiste n'était pas étrangère à cette fuite d'informations sur laquelle il avait probablement sauté. Ainsi s'écoulaient ses journées, rythmées par leurs joutes verbales, les tentatives de la jeune fille pour le fuir, lui et ses palabres qui ne la faisaient, en aucun cas, changer de position. Rythmées également par son travail prenant, mais aussi par quelques jeunes hommes du village voulant tenter leur chance auprès d'elle, avant de détaler sous le regard meurtrier de leur seigneur, qui se révélait assez possessif.

Tout ceci lui créait une sensation de sécurité et rendait sa vie ici quelque peu appréciable. Le seul point noir sur ce semblant de bonheur :  Gabriell. Furieuse, contre la seule personne présente au moment de l'incident avec le seigneur, qui n'avait pas bougé une seule de ses plumes pour lui venir en aide. Elle n'avait plus adressé une parole à "cette lâche" depuis l'incident. Elle avait la rancune tenace et n'était pas prête de lui pardonner, même si au fond d'elle, elle savait que rien de bien grave ne s'était passé. Cependant, elle considérait que ce rustre de seigneur lui avait volé son premier baiser au nez et la barbe de son "ami" ailé, qui, aussi passif que la forêt autour de lui,  n'avait pas agi pour arrêter ce Don Juan.

Elle passait donc dans sa chambre, le plus clair de son temps à ignorer ou gratifier l'oiseau d'un regard assassin.

Un matin, alors qu'elle émergeait d'un sommeil bénéfique, elle fut surprise de ne trouver le rapace nulle part. Elle ouvrit la seule petite fenêtre de sa chambre, afin d'aéré l'espace, et s'habilla rapidement, s'attendant sûrement à le voir surgir et retourner sur son perchoir pour la fixer d'un œil averti. Une fois prête, elle fut plus étonnée encore de constater que Gabriell n'était toujours pas présent dans la petite pièce. Pour éviter que le froid ne pénétra plus que nécessaire dans sa chambre, la jeune fille referma la fenêtre et se dirigea vers la porte qu'elle ferma soigneusement elle aussi, légèrement inquiète pour son ami. En effet, Blanche savait pertinemment qu'une fois que la boisson avait fait son effet, certains clients pouvaient devenir des explorateurs aguerris, à la curiosité émoustillée par l'idée d'explorer des lieux interdits et encore inconnus. Tels des Indiana Jones, ils se lançaient dans des conquêtes stupides et par conséquent, elle préférait rester prudente sur ce plan là et éviter les mauvaises surprises. C'est pourquoi elle se faisait un point d'honneur à verrouiller toute les pièces appartenant aux employées de Bertha.

Elle se rua par la suite dans l'escalier, et ne put s'empêcher de penser que la soudaine disparition de Gabriell était pour le moins étrange et de mauvaise augure, mais elle se ravisa vite, rechignant toujours à lui pardonner sa passivité de l'autre jour.

"Bon débarras ça me fera des vacances et s'il veut rentrer, il se débrouillera bien tout seul, tiens ! "Songea-t-elle avant de descendre vers la salle commune pour commencer son service.

Après une ou deux heures à s'épuiser dans sa tâche quotidienne, autre chose la frappa. Elle n'avait toujours pas été interpellée par cette voix grave et suave devenue plus que familière à ses oreilles, et, ce n'était qu'en observant autour d'elle qu'elle comprit pourquoi. Aussi étrange que cela puisse paraître, le seigneur n'était pas présent au cœur des joyeuses tablées d'hommes assoiffés. Elle ne put s'empêcher de faire un petit tour de l'auberge pour tenter de le débusquer, mais malgré ses efforts, il demeurait introuvable et elle dût se rendre à l'évidence: il n'était pas venu aujourd'hui et aux vues des heures qui défilaient, il ne viendrait probablement pas. Cette constatation la réconforta quelque peu puisque il n'allait pas s'offrir les services d'une jeune prostituée, ne pouvant l'atteindre, elle. Mais, sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi, son absence lui pinça le cœur plus que de raison. Leurs petits affrontements quotidiens, qu'elle avait finalement finit par apprécier, lui manquaient.

Le Temps Des Sortilèges - Tome 1- Dame BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant