Le Temps Des Sortilèges - Tome 1- Dame Blanche

IV

- De qui ? Attendez le seigneur de Cheralye ? D'accord....d'accord... Il y a donc eu un retour à un véritable système féodale pendant ma sieste ? C'est génial... répondit-elle en commençant à croire que cette femme était particulièrement atteinte.

 Pablo avait fait fort ce coup là, lui dénicher une folle pareille, c'était tout à fait son style. Décidément, le styliste ne perdait rien pour attendre, il allait entendre parler de cette blague de mauvais goût pendant un certain temps, elle se le promit. Malgré l'air surpris de son interlocutrice, Natacha décida de faire semblant de lui accorder du crédit. Après tout, si elle n'avait qu'à répondre à quelques questions pour que l'aubergiste lui lâche enfin la grappe, elle allait s'en donner à cœur joie. Une seule chose la taraudait : son itinéraire pour rejoindre le château de Chéralye. 

" Et nous sommes quel jour exactement ? reprit-elle du même coup, en se massant les tempes, l'air extrêmement confuse.

- Et bien...samedi si j'en croyons not' calendrier ! Répondit Bertha, comme s'il s'agissait d'une évidence. 

- Non, mais merci... S'impatienta Natacha.  Je voulais dire quel mois ? Quelle année !?  

- Nous sommes en l'an de grâce 1306...et l'hiver est l'un des plus rudes que nous ayons connu ! D'où c'te satanée famine !

Natacha ne répondit pas immédiatement, et tenta de remettre de l'ordre dans son esprit. Malgré son apparence étrange, la femme semblait étonnement sincère et honnête, ce qui la perturba énormément, l'empêchant de fait la pleine lumière sur les faits. Elle remit en route les rouages de son cerveau avec la plus grande difficulté et réalisa brusquement que tout concordait. L'absence à outrance de lumière artificielle au dehors ainsi qu'à l'intérieur de l'auberge, ou plutôt, le vide de tout objet moderne si elle en croyait sa petite visite, le patois exagéré, l'atmosphère si spécifique qu'elle en semblait réelle...et ces tenues d'époques...

" Oh...putain...de bordel...de merde...Jura-t-elle. C'est impossible! Je rêve ! Je cauchemarde !! Pince toi, pince toi, pince toi, pince toi !! »

- Ça va, ma mignonne !? S'enquit la bonne femme en lui touchant l'épaule soucieuse de l'état inquiétant de sa nouvelle protégé. 

Les joues rouges de cette dernière ne lui disait rien qui vaille. La pauvre petite semblait en proie à une inquiétude disproportionnée comparée à l'importance de l'information délivrée. Ce qui ne manqua pas d'intriguer la patronne de l'auberge. Qui se mettait dans des états pareils à cause d'une date ? Et surtout, qui était à se point ignorant du calendrier ? Mais avant que Natacha n'ait eu le temps de répondre quoi que ce fut, à l'attention de sa sauveuse, un hurlement démentiel fit sursauter les deux femmes, alors qu'elles étaient encore dans l'escalier en bois :

" Bertha !! Où êtes-vous ?!"

La concernée descendit quelques marches, avant de répondre un "oui ? " léger, comme s'il l'avait appelée avec le ton le plus courtois. Face au manque considérable de manières de cette personne, qui profitait probablement de son rang pour se croire tout permis, Natacha sut qu'elle allait détester le bonhomme, qu'il soit ou non le seigneur de Cheralye. C'était d'ailleurs une information qu'elle n'arrivait toujours pas à croire totalement, encore chamboulée par cette annonce plutôt extra-ordinaire, dans tous les sens du terme. L'ordre des priorités consistait d'abord à assimiler le voyage dans le temps puis à résoudre le problème de ce Sire malpoli qui était visiblement le maître des lieux.

" Une de tes filles a disparu ! Je n'arrive point à lui mettre la main dessus !

- Ho ! Bonne mère ! J'accourrons messire! Cria-t-elle. 

L'œillade appuyée qu'elle adressa à sa nouvelle protégée fit frissonner cette dernière. Il était désormais évident que c'était elle, la fameuse fille disparue. Reconnaître ce fait engendra une multitude de questions chez la demoiselle, qui peinait à comprendre la raison de l'empressement du malpoli.