Le Temps Des Sortilèges - Tome 1- Dame Blanche

XXVII

« Gabriell, chuchota intérieurement Natacha à l'adresse du volatile. Ôte moi d'un doute... Tu connais cette... personne ?! »

- Mais oui jeune demoiselle, nous nous connaissons. Lui répondit l'incarnation de l'orgueil en affichant un sourire carnassier. Mais je dois avouer que tu n'es pas très perspicace en temps que Sagesse, je suis déçu... Enfin, cela n'a guère plus d'importance puisque d'ici peu vous serez tous morts !

La jeune fille, infiniment troublée par le fait qu'il puisse entendre la conversation qu'elle pensait personnelle avec Gabriell, ne laissa rien paraître de son émoi et fusilla son interlocuteur d'un regard bien senti pour la remarque désobligeante qu'il venait de lui faire. Elle préféra ne rien ajouter à son œillade véhémente, consciente de leur situation délicate.

 Il semblait alors que tous avaient décidé de laisser place au silence, même les soldats cheralyens qui observaient la scène depuis son commencement, probablement sans en comprendre le sens. Réalisant que leur vie pouvait être de nouveau en danger, Guillaume les somma d'une voix forte de quitter les lieux en emportant les morts, les blessés ainsi que les inconscients au château et confia les commandes à son cousin qu'il pria de partir également. La désertion de la plaine se fit dans un silence presque religieux, rythmé par le seul cliquetis des armures des combattants qui ne perdirent pas de temps pour disparaître derrière les murs protecteurs de l'enceinte du château. 

A présent seuls, les deux groupes se regardèrent en chiens de faïence, l'animosité à l'état pur pouvant se lire au travers de chacun des regards. Guillaume ne comprenait pas tout du traquenard dans lequel il était emporté, mais ne perdit pas son temps en ordonnant sèchement:

" Vous êtes ici sur mes terres, vous n'avez rien à faire céans, je vous prierai donc de retourner d'où vous venez.

- Oh, mais c'est qu'il pense que nous allons sagement obéir...ricana Ira, au bord de l'hilarité.

Son rire méchant fit frissonner Natacha, qui serra machinalement les rênes de Raven. Ira descendit de son cheval brun, et se dressa devant Guillaume. Sa taille était ridicule par rapport au seigneur des lieux, mais sa colère semblait dépasser largement celle de ce dernier. Il lui cracha presque au visage en détachant chaque syllabe:

" Vos misérables vies touchent à leur fin...

Soudain, tout se déroula très vite, si bien que Blanche n'eut pas le temps de comprendre ce qu'il se passait. D'un coup de pied mesuré mais puissant, Guillaume de Chéralye avait envoyé valser le prétendu Ira quelques mètres plus loin. Aussitôt, plus vif que l'éclair,  Superbia avait bondit de sa monture, comme ses cinq autre confrères, et s'était mis en position d'attaque, prêt à en découdre avec le châtelain.

Parallèlement, un homme était soudainement apparu au côté de frère Athanase et lança un regard à la jeune femme blonde malmenée par sa monture noire, qui appréciait peu la rapidité de la scène. Elle calma bien vite la bête en caressant sa crinière ébène, et reconnut le charretier auquel elle avait été amenée avant qu'elle ne décide de s'engager à corps perdu dans la bataille. Le moine retroussa ses manches, et commença à incanter une formule dont les paroles n'étaient pas totalement étrangères à l'oreille de Natacha, lui rappelant notamment sa dernière nuit catastrophique au bordel. Consciente que l'incantation du religieux était peut-être leur unique salut, elle tenta d'échafauder un plan qui permettra au vieil homme de gagner du temps. Sans comprendre vraiment pourquoi, les paroles n'étaient pas non plus étrangères à Guillaume qui, pour la première fois depuis bien longtemps, ne saisissait pas la situation et voyait même celle-ci lui échapper entre les doigts. Il demeurait néanmoins conscient qu'il lui fallait à présent intervenir, seulement Superbia sortit une longue lame de sa cape sombre, et la tendit sous la gorge du grand brun qui n'eut pas le temps d'anticiper le geste et par conséquent ne put l'éviter.