Le Temps Des Sortilèges - Tome 1- Dame Blanche

XXIX

La femme était vêtue de haillons, et l'enfant qu'elle tenait dans ses bras frêles ne semblait guère plus nourrit qu'elle. Pourtant, tous deux rayonnaient d'une grâce presque divine, et d'une noblesse simple mais extraordinaire. Lorsque le châtelain, suivit de près par sa dulcinée, s'avança pour les accueillir comme il se devait de le faire pour chaque convive qu'il recevait, il fut frappé par la prestance qu'ils dégageaient et sut tout de suite qu'il s'agissait là d'individus spéciaux. Il les salua poliment et la femme posa l'enfant au sol pour lui prendre la main, avant de se diriger vers le lieu où se tenait le reste des invités.

Il les accompagna dans la salle où la grande  discussion avait lieu, dans un silence quasiment religieux, Natacha sur les talons. Celle-ci gardait la bouche close, et observait les faits et gestes de la femme  qu'elle soupçonnait être le Don de Piété ou le Don de Crainte. Elle ne connaissait que vaguement les récits bibliques, mais les noms des Sept étaient gravés dans sa mémoire, sans qu'elle ne sache réellement pourquoi. Elle observa l'enfant qui la fixa en retour, et lui sourit gentiment  avant qu'il ne détourne la tête.

En outre, même si la scène qui allait se jouer était certainement des plus cruciales, elle ne pouvait empêcher son esprit de songer au regard éloquent que lui avait porté le géant brun, lorsqu'elle avait entreprit de calmer sa colère, à l'entrée du page dans la grande salle. Dieu savait à quel point le regard acier de cet homme pouvait être transperçant, et elle en avait longuement fait les frais ces derniers jours, mais, pourtant, celui-ci avait eu quelque chose de spécial cette fois-ci, elle n'y avait lu qu'une tendresse infinie et sincère. Sentiments qui l'avaient "légèrement" chamboulée, malgré la contenance qu'elle avait voulu se donner. Elle laissa son regard se perdre sur le dos musculeux de l'homme immense qui avançait devant elle, et put deviner sa colère rien qu'en observant ses muscles se tendre.

Elle reprit ses esprits au moment où ils rentrèrent dans la grand-salle, pour s'asseoir aux places qu'ils avaient quitté. Blanche s'installa de nouveau sur le siège sur lequel elle avait jeté son dévolu, et capta le regard éloquent du géant brun, avant que celui ci ne reporte son attention sur les nouveaux arrivants. Il commença avec rudesse:

"Frère Athanase, puisqu'il est dit que c'est vous qui avez fait venir cette femme et cet enfant dans le prévenir, j'ose espérer que vous aurez l'obligeance d'expliquer pourquoi. J'aimerai en outre que vous éclairciciez ma lanterne sur un fait pour le moins... perturbant. Comment ce fait-il qu'en tant que Seigneur de ses terres, il semble que je soit le dernier alerter par les événements, les invitations, l'identité de mes ennemis ... "

Voyant que le moine tentait de choisir ses mots avec soin, le charretier qui semblait faire preuve d'un caractère bien moins patient, annonça subitement dans un discours clair:

" Depuis des siècles, le combat entre le Bien et le Mal ne cesse, et chaque dizaine de décennies, quatorze hommes ou femmes sont choisis par Dieu et par le Démon, pour s'affronter. Voyez-vous, à la mort du Christ, Satan sentant que la balance ne penchait pas en sa faveur, décida de proposer un compromis à Dieu, une sorte de jeu des âmes. Le but étant pour chacun d'obtenir l'âme d'un maximum de personnes, l'unique condition étant néanmoins de ne pas intervenir directement, ni par l'intermédiaire des démons ou des anges. Chaque homme serait en mesure de choisir librement le chemin du vice ou de la vertu. Mais le Démon comprit que malgré cette proposition, il ne gagnerait point. Quel mortel oserait se tourner vers lui avec comme perspective finale l'Enfer ? Personne ou du moins très peu... C'est ainsi, pour de contourner d'une certaine manière cette règle, Lucifer incarna ses démons en la personne d'humains possédant les prédispositions nécessaires, leurs permettant d'intervenir sans briser la règle. Ainsi, les pires vices se répandirent sur la Terre. Les sept cavaliers qui nous ont attaqué, n'étaient autres que les sept Péchés Capitaux, et nous, qui sommes réunis séant, sommes les sept Dons de l'Esprit, destinés à vaincre les ennemis du Tout Puissant, qui nous a choisis pour retrouver l'équilibre perdu dans la tricherie."