Retour à New York -La fonte des glaciers-

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*Lyla, au Poisson rouge, New York:

L'entracte se termine et chacun reprend sa place devant la scène.Je suis un peu déçue de ne pas avoir vu Henri/Jay, j'aime le retrouver pendant la pause, mais ici, dans cet espace restreint, il y a trop de risques de se faire démasquer. Il y a des journalistes dans la salle et dans le hall, qui doivent interviewer le groupe à sa sortie de scène. Tant pis, pour une fois, j'attendrais le retour à l'hôtel pour le réconforter. Je parcours la salle du regard quand je me rends compte que les musiciens sont déjà de retour, ne manque que Keith et Jay. L'atmosphère est particulière ce soir, le public est tellement proche de la scène et de ses protagonistes, qu'on pourrait se croire dans un salon privé. Une fois les instruments réaccordés, les regards sur scène cherchent le chanteur puis dérivent logiquement vers les coulisses. Qu'est-ce qui peut bien retenir Henri/Jay ainsi que Keith, hors des planches? J'espère qu'ils ne se sont pas disputés pour une quelconque raison, ce serait mauvais pour le public et pour le reste de la tournée.

Au moment où je m'apprête à quitter mon siège pour entrer en coulisse voir ce qui se trame, Keith apparaît tout sourire et retrouve sa place sur la droite de la scène, puis, vingt secondes plus tard, s'est enfin Jay qui se positionne derrière le micro. Je pousse un soupir de soulagement mais cela ne dure pas. Le regard d'Henri/Jay est encore plus sombre que ses lentilles, son visage est également plus fermé qu'avant l'entracte et je ne comprends pas ce qui a bien pu arriver en trente minutes à peine.

Jay accorde sa guitare puis, après un signe de tête en direction de Mat, le batteur, il commence à chanter une de ses dernières créations. Je commence à flipper lorsque, attendant son regard dans ma direction, je le vois m'éviter carrément et adresser des sourires à son public tout en chantant. Pas une seule fois ses yeux ne se posent au fond des miens comme il le fait toujours lorsqu'il chante un nouveau titre créé pour moi. Je n'arrive pas à calmer les battements erratiques de mon cœur. Qu'est-ce qu'il nous arrive? Ai-je, sans le vouloir, provoqué sa colère? Keith lui a-t-il dit quelque chose qui ferait que Henri/Jay m'en veuille?

Toutes sortes d'idées défilent dans ma tête, mais aucune réponse ne semble satisfaisante. Je jette un coup d'œil du côté de mes parents, rien ne transparaît sur leurs visages souriants, sinon la pleine satisfaction d'assister à ce concert de Jay. Je me fais sans doute des idées, peut-être simplement un éclairage mal réglé qui empêche Jay de me distinguer dans le public... En parcourant à nouveau la salle des yeux, je tombe sur le visage mécontent de mon frère. Il fixe Henri/Jay, le visage complètement fermé, une étincelle de colère dans les prunelles. Je n'ai donc rien imaginé. Que se passe-t-il?

*Henri/Jay:

Mon cœur est en mille morceaux, la colère bout dans mes veines, ma frustration est infinie. Même si Lyla pense que je ne la regarde pas, ce qui est en partie vrai, je la vois. Elle est là, dans un petit coin de ma vision périphérique, triste, frustrée, choquée et perdue devant mon indifférence feinte. Je ne peux pas prendre le risque de m'attarder dans son regard, je risquerais de m'y accrocher comme un homme à une bouée de sauvetage, après être tombé d'un bateau. Personne ne doit savoir que j'aime cette femme, que je tiens à elle, qu'elle est mon autre.

Je ferme les yeux une seconde pour me rassembler, je libère dans ma voix toute ma rancœur et ma rage devant l'inéluctable. Ma défaite sera plus cuisante que jamais. Et je me maudis pour cela. Je chante, je donne tout sur cette scène que j'aime tant, à ce public que j'aime et qui me le rend bien.

- "... I will always love you, believe your heart, he's a part of me..." J'ai fixé Lyla cinq secondes le temps de prononcer ces paroles, le temps de faire passer le message, de la rassurer. Cela a visiblement fonctionné. Ma cage thoracique se libère un peu du poids qui l'oppresse depuis l'entracte. Le soupir de soulagement qu'elle pousse est si énorme que j'ai l'impression de l'avoir entendu depuis la scène. Une larme brille sous la lumière des projecteurs qui balaient la foule, ses émotions sont à fleur de peau, les miennes encore plus.

Le secret d'HenriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant