6. Un petit morceau du puzzle ( corrigé)

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Elle entre dans l'appartement, mais décide de ne pas attaquer tout de suite l'interrogatoire. Innocent jusqu'à preuve du contraire, c'est ce que son père lui disait tout le temps. Steeve a déjà posé les sacs en papier sur la petite table dans la cuisine, et s'est installé sur le fauteuil. Il a l'air exténué.

- Ça va vieux ? lui demande-t-elle

Il hoche la tête mais tout son corps montre l'inverse. Elle le fixe et pour la première fois, elle remarque les cernes sous les yeux de son jeune collègue. Elle le considère avec plus d'attention et constate que, malgré sa coupe qui ne lui plaît pas et son air ahuri, il est charmant. Grand et élancé, il pourrait plaire à plus d'une fille, il aurait même pu lui plaire s'il n'avait pas été si jeune et si con. Elle sourit à cette pensée.

- Faut dormir la nuit, s'exclame-t-elle.

Il sourit à son tour avant de lui répondre :

- Je sais Livia, mais quand tu passes la nuit à tenir les cheveux de ta mère qui picole et qui vomit, les nuits sont courtes. Je ne me plains pas de ma vie, mais je t'avoue que je rêve d'une nuit de douze heures.

Elle le regarde, et ressent de l'empathie pour le jeune homme qu'elle a en face d'elle. A sa manière, il a du avoir une enfance de merde, comme elle. Et pourtant, elle le plaint. Oui, ses parents sont morts, elle a du vivre sans, mais elle avait ses grands-parents, elle avait de quoi s'en sortir, alors que lui... Il est seul et doit gérer des histoires d'adultes.

- Tu as faim ?

- Je meurs de faim Livia. Tu veux de l'aide ?

- Bien-sûr que tu vas m'aider coco, la femme à la cuisine et l'homme assis c'était le siècle dernier.

Il sourit, c'est ce qu'il apprécie chez elle, son franc-parler. Elle dit ce qu'elle pense sans jamais rabaisser la personne devant elle.

- Je vais mettre un peu de musique. Ça te dit ?

Il acquiesce, c'est leur lien.

La préparation du repas se fait avec le son de MUSE, elle adore ce groupe. Il fredonne. Il connait ce petit con , pense-t-elle, lui qui lui fait croire qu'elle écoute des chansons de vieux.

- Viens, on va manger sur le canapé, mettons-nous à l'aise.

Il la suit, avec les deux assiettes et ils s'installent tous les deux tranquillement sur le sofa. Steeve observe la pièce. Le salon n'est pas très grand, et peu meublé. Un divan, une télé, une table de salon et un tapis composent la pièce principale de l'appartement. Ce qui frappe le jeune homme, c'est l'absence de photos. Il commence donc à réfléchir au pourquoi, quand Livia le sort de son enquête.

- Steeve, je peux te poser une question ?

- Euh c'est déjà ce que tu fais, donc oui, vas-y , continue...

C'est vrai, il a raison. Un point pour lui.

- Pourquoi dis-tu que c'est ton ancien gang ?

- Je l'ai quitté, je te l'ai dit. J'ai pas envie...

Elle lui coupe la parole. Elle doit savoir, elle attend ce moment depuis 16 ans.

-Steeve, s'il te plait, je dois savoir, crois-moi, je t'expliquerai. Je te promets. Dit-elle en levant la main.

Il l'observe et ressent quelque chose qu'il n'avait jamais observé chez elle... de la rage mêlée à de la tristesse.

- Tu te rappelles que je t'avais dit que je faisais des conneries avec mon gang et qu'ils avaient décidé que je devais stopper la musique parce que c'était pour les gays ?

- oui, je me souviens, je t'avais même dit que c'était idiot.

- En effet, et bien Livia, je suis... Je suis gay. J'aime vraiment les garçons. Un jour, ils l'ont appris et mon ex a vécu des choses atroces. On n'a pas le droit pour eux. Il m'a quitté parce que je ne l'ai pas défendu, il a porté plainte. J'étais coupable autant qu'eux parce que je n'ai jamais rien fait contre tout ça.

Les larmes coulent chez les deux. Elle pleure en pensant à la souffrance que Steeve a subie et il pleure en pensant à la perte de la seule personne qu'il avait vraiment aimée .

- Steeve, je suis désolée, je ne voulais pas te blesser...

-Me blesser ? Ne vois-tu pas que je me blesse moi-même. Je me cache parce qu'on m'a toujours appris à avoir honte de moi. Quand j'ai rejoint ce gang, je pensais trouver une famille que je n'avais pas. Ils m'ont empêché d'avoir faim. Ils m'ont hébergé quand ma mère se disputait avec mon beau-père. Oui Livia, je t'ai dit que mon père était absent. Je ne l'ai plus vu depuis presque cinq ans. Je le comprends, il a voulu fuir cette vie de merde. Qui ne le voudrait pas ?

Il se tait. Il en a dit beaucoup, peut-être trop pour une personne qu'il ne connait que depuis une petite semaine à peine. Elle se rapproche de lui et lui prend la main.

- Steeve, je dois être honnête avec toi, alors suis-moi.

Elle l'entraîne alors dans sa chambre et lui montre son puzzle qui prend forme depuis seize ans.

- Il y a plus de seize ans, j'ai perdu mes deux parents. Mon père était flic, et ma mère s'occupait de moi. Une nuit, il y a eu une panne de courant, un individu est entré. Ma mère a été violée sous mes yeux, et mon père assassiné. Je n'ai rien vu de l'individu, sauf son tatouage. Le même que le tien.

Elle lui tend l'article racontant les faits qu'elle vient d'ôter du mur. Au bout de quelques minutes de lecture, il relève la tête et regarde son amie.

- Tu crois que c'est eux ?

- Steeve, depuis des années je cherche un indice, un simple morceau de ce puzzle et tu apparais... ce n'est pas une coïncidence, ça ne peut pas être un hasard que tu apparaisses comme ça. Nous étions destinés à nous rencontrer, tu ne crois pas ?

D'un coup, il sort de la pièce. Elle le suit.

- Livia, ne me demande pas d'y retourner, j'ai envie de changer et eux m'ont détruit. Tu ne peux pas me faire ça, en plus rien ne prouve qu'il s'agisse du même tatouage. Des coqs y en a plein.

- Crois-moi que jamais je n'oublierai ce que j'ai vu, et le tien ressemble trait pour trait à celui que j'ai vu des années auparavant. Non, je ne te demanderai pas de retourner vers ces pourritures, mais...

Il semble soulagé, mais la fin de sa phrase ne présage rien de bon.

- Je veux que tu me dises où les trouver, je vais les rejoindre, les infiltrer et enfin me venger... c'est à mon tour de les faire souffrir, et crois - moi qu'en seize ans, la vengeance regorge dans chaque centimètre de ma peau.

- Je t'aiderai, à une condition...

-Laquelle ?

- si c'est trop dangereux, tu abandonnes tout et tout de suite.

Elle ne peut pas lui promettre, personne ne pourrait éteindre la flamme qui vient de s'allumer chez elle. Le feu la domine, avec pour carburant, la rage. Son tour arrive enfin, elle aura attendu mais elle est sur la route de l'homme qui a détruit sa vie, juste derrière, elle le sent.

La vengeance pour oxygène (histoire terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant