8. Des petits bouts de souvenirs (corrigé)

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Jeudi, y a rien à faire le jeudi peste Livia. Saleté de congé forcé, foutu caractère. Réveillée depuis sept heures du matin, elle tourne en rond dans son appartement.

- Si seulement, je m'étais tue.

Elle se lance dans la préparation de son petit déjeuner tout en fixant le cadran de l'horloge électronique de sa cuisine. Neuf heures, le temps lui semble long, trop long. Elle lance alors la play-list YouTube sur sa tablette et sifflote les airs qu'elle entend.

Le repas terminé, elle se redirige vers la cuisine qui aurait bien besoin d'un petit nettoyage. Elle commence alors la vaisselle qui semble s'être empilée depuis un mois.

- Putain Livia, la prochaine fois, tu la fais tout de suite !

Et d'un coup, elle éclate de rire.

- Et voilà que je commence à parler toute seule, premier symptôme de la folie.

Dans le fond, la musique continue, Calum Scott. Livia ne connait pas cette chanson et monte le son puis se lance à l'assaut de la pile de couverts, d'assiettes, et de casseroles. Les paroles la touchent, elles sont belles et tristes en même temps. Un verre éclate dans ses mains, l'eau chaude l'ayant fragilisé et l'intensité avec laquelle elle l'a tenu terminant de le briser.

Du sang coule le long de sa paume pour rejoindre son poignet. Elle est captivée par le spectacle que l'eau et le sang donnent ensemble. La jeune femme ne ressent aucune douleur, aucune gêne, bien que la plaie soit assez profonde. Le liquide rouge atteint son coude qui, replié, laisse le sang s'écouler dans l'évier rempli d'eau et de mousse qui change de couleur et donne un aspect rosâtre. Elle reste admirative de ce spectacle pendant dix minutes sans faire attention à la musique, à l'heure. Juste elle, le sang, et l'eau.

- L'histoire de ma vie.

Cette vision lui rappelle son adolescence, où elle avait , comme beaucoup de jeunes mal dans leur peau, essayé de se blesser. Une lame de rasoir, ses jambes et des cicatrices. A l'époque, c'était sa façon de s'évader avant de se rendre compte qu'à part se faire du mal et laisser des marques à vie sur son corps, rien ne changerait.

D'un coup, une sonnerie d'appel retentit, la sortant de sa rêverie. Elle entoure sa main de l'essuie de vaisselle à sa disposition et regarde qui peut bien l'appeler.

- Hallo Mamie, ça va ?

- Bonjour ma chérie, ça va bien et toi ? Attends ne me réponds pas, je suis en bas de chez toi, mais je suis coincée, je trouve plus les clefs de ton appartement.

- Hmmmm. D'accord, j'arrive.

Après une course dans les escaliers, elle rejoint enfin sa grand-mère qui l'attend les bras chargés et le sourire aux lèvres. C'est fou, se dit Livia, elle me manque.

- Bonjour ma puce, tu m'aides ou tu comptes me regarder pendant dix ans ?

Livia lui prend le carton des mains, lui laissant un petit sac en papier. Le trajet pour remonter se fait dans le silence complet. Une fois dans la cuisine, comme à son habitude, sa grand-mère se lance dans la préparation du repas pour le déjeuner.

L'odeur se répand très vite dans l'appartement, le chili-corne envahissant chaque recoin de l'habitation.

- Livia, j'étais très inquiète, depuis ma dernière visite, pas un seul petit message ou coup de fil. Tu ne comptes pas sombrer une fois de plus ?

Elle regarde la vieille dame et voit le visage tiré par l'inquiétude. Il est vrai qu'à une époque, elle n'avait plus donné de signe de vie, et pour cause, elle essayait à petits feux de se donner la mort. Par moment, c'était l'alcool, car malgré l'interdiction d'en vendre au moins de 21 ans, elle réussissait chaque fois à s'en procurer. De nombreuses fois, elle avait fini ivre morte, dans son canapé, entourée de son vomi. Par d'autres occasions, six fois en tout, elle avait absorbé une dose assez élevée de paracétamol, et sauvée chaque fois par sa mamie qui, inquiète de ne pas recevoir de réponses à ses sms, débarquait chez elle. Très souvent, elle avait voulu envoyer sa petite fille en établissement, espérant que cela la sauve. Mais le sauveur portait un autre nom, John.

- Non, je te promets que non. Je n'ai pas le temps tout simplement. Je sais que ce n'est pas une excuse mais j'ai beaucoup de boulot en ce moment, j'aide un jeune.

- Vraiment ?

La vielle dame, le sourire aux lèvres semble ravie de la nouvelle.

- Oui, il me donne des cours de guitare.

- Là, ma chérie je ne comprends pas. Comment peux-tu l'aider si c'est lui qui te donne cours ?

Elle lui explique sans entrer dans les détails et sans trahir le moindre secret de son ami. Après tout, il s'était confié et elle ne voulait pas perdre ce lien de confiance qui depuis la veille semblait un peu plus fragile.

- Je suis fière de toi dit-elle une fois l'histoire de Livia terminée. Tu as bien fait. Et le boulot, ça va?

La jeune femme lui raconte de petites anecdotes, sans pour autant lui signaler son congé forcé.

D'un coup, Lou se lève et se dirige vers le carton.

- Viens Livia, nous débarrasserons tout après, j'ai des choses qui pourraient t'intéresser. J'ai longtemps hésité à te les montrer, mais je pense que tu es prête.

Elles s'assoient alors toutes deux sur le canapé et Lou sort un album de la boite.

- C'est à toi.

Livia ose à peine le toucher, la peur de tourner la page et de se rendre compte que c'est bien ce à quoi elle pense.

- Je ne veux pas.... pas maintenant s'il te plait. Laisse-le là, je le regarderai mais ne m'oblige pas à le faire maintenant.

Les larmes commencent à se montrer, elle renifle. Non, elle n'a pas le droit de pleurer, après tout, Lou aussi a perdu sa fille.

- Pleure mon cœur, ce n'est rien, tu as le droit. Je ne te force à rien, je le laisse chez toi et tu le regarderas quand tu seras prête. Ne te sens pas obligée.

Elle prend sa petite fille dans les bras et la console, comme elle le faisait quand elle était toute petite. Livia hume le parfum de celle-ci. Son odeur, la même depuis des années. Un mélange de chèvrefeuille et de rose, une saveur qu'elle associe souvent aux personnes plus âgées, par reflex sans doute. Quand dans la rue, elle sent ce parfum, elle se retourne et cherche après le visage de Lou. Comme à une époque où elle faisait le lien avec les bougies et le décès de ses parents. Très longtemps, elle a interdit à sa famille d'en allumer, même sur les gâteaux.

- Je t'aime mamie.

- Je t'aime encore plus mon ange.

L'étreinte se poursuit encore pendant une longue minute, chacune voulant puiser chez l'autre la force nécessaire pour se séparer.

La vaisselle terminée, le tout rangé, Lou s'en va, obligation personnelle l'obligeant.

Se retrouvant seule, Livia commence à tourner dans son appartement, ne sachant pas que faire. Il est plus de treize heures, la venue de sa mamie l'a bien occupée.

Elle  stoppe dans le salon, et ne peut s'empêcher de se mettre face à l'album. Il l'attire comme un aimant. Prenant son courage à deux mains, elle l'attrape et le pose sur ses genoux une fois assise. Il est lourd, et épais. Elle tourne les pages rapidement comme elle le fait chaque fois qu'elle achète un bouquin et sent l'arôme qu'il dégage. C'est un vieil album, il sent bon.

Elle l'ouvre et tombe sur une page avec juste une petite phrase écrite à la main : "Il n'y a pas de meilleure façon de définir le mot famille que de l'associer à celui de l'amour". L'écriture est fine, féminine, c'est sa mère, elle en est certaine. Elle ne veut pas regarder plus, c'est déjà beaucoup pour elle. Elle caresse alors la page avant de refermer ce mémoire de souvenirs et s'allonge dans le canapé, les larmes coulant malgré elle. Aujourd'hui, elle aurait envie de rayer la phrase et d'y inscrire: SOUFFRANCE.


La vengeance pour oxygène (histoire terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant