Chapitre 3

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Le lendemain matin, en se levant, Amara fut d'abord quelque peu déconcertée. La vue que lui offrait sa fenêtre, cette vue avec laquelle elle avait grandi, qu'elle aimait tant, lui semblait étrangère. Pourquoi était-elle de retour dans cette chambre où elle n'avait plus dormi depuis des années, dans cette maison dont elle n'avait plus senti l'odeur rassurante depuis le jour où ses bagages en avaient franchi la porte? Elle se leva lentement. Ses parents l'avaient laissé dormir encore un peu; il était déjà avancé dans la journée, et sans doute avait-elle déjà manqué beaucoup de choses. Elle revêtit une robe de chambre et descendit. Sa mère l'accueillit avec un grand sourire. Elle voulut lui proposer à manger mais Amara n'accepta que les fruits. Elle n'avait pas faim.

- J'ai écrit à ton frère. Nous recevrons sûrement sa réponse assez rapidement. 

Laurence Verdana, d'un an l'aîné d'Amara, était la grande fierté de la famille. Il était resté avec son père et sa mère lorsqu'Amara avait été envoyée en Espagne pour y parfaire son éducation de jeune fille. Il avait tant fait fleurir leur commerce qu'ils avaient réussi à s'offrir un nouveau degré de commodité - voire même de luxe - qu'ils n'auraient jamais pu penser atteindre. Puis, il s'était intéressé à une carrière militaire avant d'être confronté aux injustices des différents commandante qui s'étaient succédé à Los Angeles. Dégoûté de leur servitude et de leur occasionnelle bêtise, il avait décidé de continuer dans les affaires, où il se montrait décidément doué. Il avait tant enrichi sa famille qu'il avait été possible pour les Verdana de faire également commerce dans d'autres domaines que l'huile d'olive. Il s'était rendu une année auparavant en Espagne afin d'y conclure plusieurs accords et d'y visiter le pays. Il avait rendu visite une fois à Amara, visite durant laquelle il l'avait beaucoup renseignée sur Zorro; c'était en discutant avec lui que son idée de revenir et de faire quelque chose avait commencé à se développer. 

Amara aimait beaucoup son frère, qui avait toujours été très tendre avec elle. Ils s'entendaient admirablement bien, et la jeune fille accordait beaucoup de valeur à l'avis de son aîné, peu importe le domaine. 

- Penses-tu qu'il reviendra bientôt? demanda alors Amara. 

Doña Amelia haussa les épaules, puis ramena son châle, qui tombait à cause de ce mouvement, sur ses épaules.

- Qui sait? Ton frère est tellement... imprévisible...

- C'est ce qui fait son charme et son succès, s'exclama Amara avec un grand sourire.

- En parlant de charme et de succès...

Amara détourna son regard, sentant ses joues rougir - après tout, elle était une femme comme les autres - et regarda alors par la fenêtre, qui donnait sur le patio, avec ses bancs et ses arbres (ils avaient été plantés après son départ; elle les avait remarqués la veille mais elle se serait sentie ridicule en s'émerveillant de la présence d'arbres dans sa propre maison

- Don Alvaro est sûrement un très beau parti... Même si d'autres caballero - et un en particulier - auraient attiré encore plus ma sympathie, je dois admettre que ton choix est tout à fait judicieux. 

Amara, soucieuse d'éviter le sujet des "autres" caballeros, eut un petit air pincé.

- Mère, vous savez bien que ce n'est pas dans mes plans... ni dans les siens, d'ailleurs. Nous avons abordé le sujet hier soir, afin que cela soit clair entre nous. 

Doña Amelia eut un petit haussement de sourcils et se détourna, visiblement en pleine réflexion. Puis, elle s'assit à la table et regarda Amara s'avancer en silence vers le clavicorde, interrogeant sa mère du regard.

- Très bonne idée, Amara. Montre donc à ta pauvre mère ce qu'on t'a appris, là-bas, dans la belle Espagne...

Doña Amelia était née et avait grandi en Espagne, peu loin du lieux où Amara avait fait ses études. Amara avait visité l'endroit et l'avait trouvé de toute beauté; elle pouvait comprendre qu'il puisse manquer à sa mère. Lorsque son père l'avait entraînée en Californie, Amara savait que sa mère avait laissé toute sa vie derrière elle sans hésitations. En était-il toujours aujourd'hui, des décennies plus tard?

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