Sombra

Chapitre 16

Comme Zorro n'avait pas donné de lieu de rendez-vous précis, Sombra en avait conclu qu'ils devaient se retrouver là où il l'avait emmenée la première fois. Lorsqu'elle y fut, elle attendit un peu plus d'une heure avant que Zorro ne s'y trouve lui aussi. Elle comprit qu'elle s'y était rendu au crépuscule et non au soir, et se promit de faire plus attention la prochaine fois; elle aurait pu être surprise par n'importe qui.

Elle lui raconta ce qu'elle avait appris, dans les moindres détails, et le regarda réfléchir, cherchant comment coordonner toutes ces nouvelles informations. Elle attendait de savoir sa réaction sans l'avoir influencé, et fut plus que satisfaite quand il déclara finalement:

- Il nous faut savoir quelle est la position du commandante dans tout cela. C'est la prochaine étape... savoir de quel côté il penchera. Celui des Espagnols, dont il reçoit les ordres, où il a été formé... qui l'ont influencé... (il sourit et sembla penser à quelque chose que Sombra ne pouvait deviner, comme si cette constatation l'amusait.) ou celui des Californiens, qu'il protège.

- Exactement. On sait qu'il veut amener l'ordre à Los Angeles, mais encore faut-il savoir s'il parle de sécurité pour les Californiens ou d'autorité pour les Espagnols.

Zorro hocha la tête, et ils réfléchirent encore pendant quelques temps. Sombra trouvait amusant d'en être arrivé à la même conclusion avec Zorro qu'avec Diego au sujet du commandante: qu'il fallait savoir dans quel camp il se trouvait. Or, en apprenant comment il réagissait aux événements, n'était-il pas plus aisé de prévoir vers qui son allégeance pencherait? C'était ce qu'elle avait cherché à savoir lorsqu'elle avait demandé à don Eduardo comment le commandante avait réagi aux événements de la veille.

- Très bien, finit-elle par dire, alors il nous faudra essayer de rassembler le plus d'informations possible au sujet du commandante. Nous pourrons nous retrouver dans trois jours et mettre nos découvertes en commun.

- Parfait. Une dernière chose... Les gens pensent que tu es mon fils. Ils en sont intimement convaincu depuis que nous nous sommes battus ensemble. Si tu es d'accord... j'aimerais laisser planer cette croyance. Ne jamais rien dire qui l'affirme... mais ne rien dire qui la nie. T'appeler "el niño".

Sombra éclata de rire. Elle était sûre que Zorro savait maintenant qu'elle était une femme, mais cela restait latent entre eux, comme le secret de leur masque. Qu'il veuille jouer de son identité ainsi montrait bien tout l'humour du justicier, dont on lui avait déjà parlé.

- C'est le parfait alibi. Les gens chercheront alors à trouver un père et un fils et pas... enfin, pas nous.

Elle avait failli dire "une femme et un homme", mais elle préféra laissa planer cette information entre eux, convaincus qu'ils le savaient tous les deux mais qu'il était comme convenu entre eux qu'aucun des deux n'en parlerait. Ils se séparèrent, Zorro toujours aussi mystérieux, Sombra l'esprit joyeux.

Le lendemain, Amara se prépara à se rendre au pueblo, où elle espérait avoir l'occasion de rencontrer le commandante. Avec un peu de chance, elle pourrait combiner ses deux quêtes: elle désirait à la fois analyser le comportement du commandante pour arriver à en discuter avec don Diego et savoir vers qui des Espagnols ou des Californiens il pencherait. Les deux étaient, en somme, intimement connectés.

De toute façon, si son but était véritablement d'aider le peuple, le commandante oeuvrerait, sinon main dans la main, du moins dans la même direction que Zorro et Sombra. Et si c'était le contraire, alors en faisant du commandante un ennemi public des justiciers (Amara se sentait à la fois fière et enfantine en ajoutant ce pluriel qu'elle n'était pas encore tout à fait sûre de pouvoir appliquer à sa propre contribution en tant que Sombra), ils déclareraient au peuple qui oeuvrait pour eux et qui oeuvrait pour l'Espagne.