L'hacienda des Rojas n'était pas très éloignée de celle des Verdana. En longeant la route qui menait à Santa Monica, on finissait forcément par la remarquer. Leur fils aîné, Rodrigo, avait effectué des études d'architecture à Madrid et était revenu en Californie avec des idées nouvelles pour l'ancienne ferme de ses parents qu'il comptait bien améliorer à sa manière. Les nouvelles modes du continent avaient façonné la nouvelle hacienda que l'on pouvait désormais qualifier de produit espagnol.
Amara n'aimait pas le bâtiment. Et encore moins ce que connotait ce changement. Elle qui avait passé son enfance avec Fernando, le jeune frère de Rodrigo, qui avait partagé ses jeux avec lui et qui avait, adolescente, rêvé comme lui de l'indépendance californienne, la Belle guerre, comme ils l'appelaient autrefois, découvrait désormais que son compagnon de jeu avait dû regarder en face la transformation de son frère en tout ce qu'ils haïssaient, enfants: un Californien léchant la botte des Espagnols.
Cependant, malgré le combat qu'elle menait en tant que Sombra, Amara ne pouvait se résoudre à abandonner Rodrigo et sa famille. Elle eut une pensée émue pour Fernando, qu'elle n'avait pas encore revu depuis son retour d'Espagne - il avait été empêché par un voyage avec Rose-Marie à Monterey lors de la fête qui avait été donnée pour son retour. Elle se l'imagina rendu fou par l'amour que devait porter son frère aux Espagnols. Elle imagina leurs parents devenir fous à force de voir leurs deux fils se déchirer autour d'un problème si fondamental: leur identité.
Elle galopait à toute allure sur Adagio, sans vraiment savoir ce à quoi elle pouvait s'attendre. Ricardo l'avait prévenue, elle, parce qu'il disait pouvoir lui faire confiance. Mais comment pouvait-il en être convaincu, lui qui ne l'avait vue qu'une seule fois? Cette seule et unique rencontre, durant laquelle elle n'avait prononcé aucun mot, aurait-elle pu suffire? Elle trouvait dérangeantes les confessions de l'ancien serviteur.
En arrivant à l'hacienda, Sombra se fit plus discrète, approchant la bâtisse dans le plus grand des silences - elle faisait partie de ceux qui savent apprécier le silence à leur juste valeur. Elle la contourna afin d'avoir une vue sur le patio principal, profitant du surplomb sur lequel elle se trouvait. Elle remarqua alors une silhouette - celle d'un peon. Rien à craindre; il s'agissait d'un serviteur. Elle fit avancer Adagio avec une lenteur qui déplaisait à l'étalon. Celui-ci tenta d'avancer plus rapidement mais Sombra tenait les rennes avec une autorité qui, loin d'être cruelle, était tout de même suffisamment établie pour qu'Adagio lui obéisse instantanément.
Les hommes dont Ricardo avaient parlé se manifestèrent une heure après qu'elle soit arrivée, la prenant par surprise: elle commençait à relâcher son attention et se demandait si Ricardo ne lui avait pas joué un tours, après tout. Ils étaient quatre. La maison semblait vide, ou presque; seule la lumière du salon brillait encore. Sombra fit descendre Adagio jusqu'au mur d'entrée qu'elle escalada sans bruit. Elle remarqua immédiatement que l'action avait déjà commencé. On entendait des exclamations étouffées depuis l'intérieur. Sombra s'approcha d'une fenêtre et écouta.
- Fernando nous envoie te régler ton compte, saleté de traître Espagnol! La Californie se portera mieux sans ton sang souillé.
- Ah! s'écria une voix d'homme que Sombra reconnut, malgré qu'elle eut beaucoup changé; celle de Rodrigo. Vous ne serez pas assez de quatre pour m'achever. Tous les Rojas ne sont pas des lâches... je combattrai jusqu'à la mort.
- Rodrigo, non! s'exclamait en arrière-fond la voix d'une femme - celle de la señora Rojas. Par pitié, ne touchez pas à mon fils...
Amara se rua vers la porte d'entrée - Rodrigo ne pouvait pas combattre à lui seul quatre hommes. Elle l'ouvrit silencieusement, malgré sa précipitation et, oubliant l'avertissement de Ricardo qui lui assurait qu'il y avait un piège dans tout cela, elle abattit la pointe de son épée sur le poignet de celui des quatre hommes qui tenait un pistolet pointé sur la poitrine de Rodrigo. Celui-ci hurla et le sang qui tâcha sa manche sembla le surprendre. Il s'écarta de Sombra qui pointa son épée vers le prochain de ses assaillants tandis que Rodrigo hésitait.

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Sombra
FanfictionLorsque'Amara Verdana revient en Californie après cinq ans d'absence, elle n'est plus la jeune fille éprise de musique et de poésie que connaissaient ses parents. Sa fougue naturelle l'a menée à apprendre le maniement des armes, et les nouvelles ven...