Chapitre 18

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Amara et Diego avaient suivi le commandante lorsqu'il avait décidé de prendre la parole et se trouvaient désormais légèrement en retrait, à sa gauche, faisant face à la foule qui allait bientôt se constituer. Lorsqu'il prit la parole, Amara sentit le regard curieux des haciendado sur le couple qu'elle et Diego formaient.

- Chers rancheros de Los Angeles, chers amis... J'aimerais tout d'abord remercier les De la Vega pour leur hospitalité et pour m'avoir permis de m'adresser à vous tous. (Le commandante fit une petite pause durant laquelle les rancheros se rassemblèrent de façon à avoir une bonne vue sur lui.) Vous devez tous vous demander, j'en suis sûr, pour quelle raison je me montre si intransigeant en ma qualité de commandante, pourquoi j'accorde une telle importance à l'ordre et au respect des lois à Los Angeles. (Des murmures d'approbation s'élevèrent et Amara remarqua le regard plutôt dur de Fernando.) Je vous décevrai sûrement quelque peu en vous avouant que c'était dans une ultime tentative de protéger Los Angeles de mesures dont j'ai entendu parler... malheureusement, je ne peux y parvenir seul. Il me faut votre aide. Il me faut la confiance de Los Angeles. Et surtout, il me faut le secret...

Un long silence suivit ces paroles. Enfin, don Alejandro s'avança d'un pas, sortant de la foule qui s'était amassée vers le commandante.

- Que proposez-vous, señor commandante? demanda-t-il simplement, mais d'une voix forte, qui trahissait son autorité naturelle.

Le commandante laissa planer un silence dans lequel Fernando le regarda en plissant les yeux. Amara regardait fixement la foule, voulant avoir le meilleur aperçu possible de leur réaction. Elle sentit qu'à ses côtés Diego faisait de même.

- Bientôt, il arrivera d'Espagne des envoyés spéciaux du roi... des nobles, particulièrement riches, venus s'installer à Los Angeles et ailleurs, sûrement, dans la région, et en Californie d'une manière plus générale. Ces nobles arriveront avec l'autorité du roi comme appui dans une ville qu'ils espèrent trouver dans un état de corruption, de désordre et d'insécurité telle qu'ils pourront sans peine raffermir leur position.

Plusieurs rancheros s'exclamèrent et Amara vit sa mère prendre le bras de son mari. Les visages semblaient tous furieux ou apeurés. Amara eut un petit sourire. Elle n'était visiblement pas la seule à mépriser l'Espagne et la tyrannie qu'elle symbolisait en Californie...

- Et vous, où vous situez-vous, dans tout cela? demanda fort à propos Fernando. Vous êtes Espagnol, señor, et vous êtes vous aussi sous l'autorité directe du roi...

- J'ai beau être né en Espagne, señores, mais je suis ici dans mes fonctions de commandante. Mon devoir est de protéger le peuple californien, et je tiens ses intérêts particulièrement à coeur... Ces paroles pourraient vous surprendre, mais mon premier objectif est de sauvegarder vos vies, et non de satisfaire le roi d'Espagne, qui n'a jamais mis les pieds à Los Angeles et ne sait rien de vous.

- Qu'en savons-nous? vous l'affirmez... mais comment savoir que vous le pensez? s'écria un homme qu'Amara ne reconnut pas.

- Le commandante pourrait être démis de ses fonctions pour bien moins que ce qu'il vient de dire, fit remarquer Amara dans le silence qui s'en suivit. Nous pourrions même lancer en l'air le terme de "trahison" et il retomberait sans difficulté sur sa nuque... Il y a bien un piège, señores, mais il n'a pas été tendu par le commandante...

Et Amara eut envie de se baffer. Encore une fois, elle laissait ses pensées s'échapper de sa bouche. Autant pour sa couverture de femme innocente auprès du commandante. Celui-ci s'était d'ailleurs tourné vers elle et la jaugeait du regard, apparemment surpris. Son regard glissa ensuite vers Diego, qu'Amara vit sourire de coin. Lui était habitué à ce genre de sorties... tout comme ses parents, qui avaient un regard fier. Le reste de la foule sembla se réveiller à ses paroles. On entendit des "oui, c'est vrai", et des "mais qu'en sait-elle? c'est un piège, c'est sûr". Amara soupira.

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