Chapitre 4

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Ana était une servante à l'hacienda des Verdana depuis sa plus tendre enfance. Elle avait dix ans de plus qu'Amara et avait grandi au ranch, y restant après la mort de ses parents. Elle s'était toujours bien entendue avec Amara et, enfant, elles avaient souvent joué ensemble. Ana, le lendemain matin, réveilla Amara assez tôt et l'aida à s'habiller et à se préparer. Elle descendit ensuite préparer le déjeuner, laissant Amara seule qui ne savait pas si elle devait apporter quelque chose en particulier avec elle. Elle décida alors qu'il lui fallait prendre son temps, s'habituer à Los Angeles... De plus, si Sombra se manifestait maintenant, trop de gens pourraient avoir des doutes - elle était la seule à être rentrée à Los Angeles avec le dernier bateau qui avait accosté à Monterey.

Elle sortit de sa chambre en n'emportant quasiment rien avec elle, sinon sa bourse, un très petit cahier qu'elle avait ramené d'Espagne et qui contenait à la fois des petits croquis mais aussi des pensées très importantes ou seulement intéressantes qu'elle consignait par écrit, une plume, un éventail et un petit livre. Elle mangea avec ses parents, prit congé de sa mère, et partit avec don Eduardo, Ana et Eugenio, le serviteur de son père.

Le trajet se fit sans encombres. Amara fut mise en courant des dernières nouvelles de l'hacienda Verdana et apprécia le moment qu'elle passait avec son père, un moment libre de toute entrave, où il l'informait simplement des faits. Lorsqu'ils arrivèrent au pueblo, la rue principale était déjà en pleine activité. Don Eduardo laissa Ana descendre avec Amara et leur donna rendez-vous à midi. Il voulut préciser où mais tous deux furent soudainement séparés: un señor qu'Amara ne connaissait pas avait interpellé Eduardo, et la situation semblait urgente, et don Alvaro s'était matérialisé aux côtés d'Amara, toujours aussi superbe. Elle lui sourit et se sépara de son père sans songer à quoi que ce soit d'autre.

- Que nous vaut l'honneur de votre charmante visite? demanda poliment don Alvaro.

- Oh, un simple caprice. Je n'avais plus flâné dans Los Angeles depuis cinq ans; or, j'appréciais tout particulièrement le marché. Et vous, quelles affaires vous amènent à croiser mon chemin?

- Aucune, à vrai dire. Je réside temporairement à l'auberge. Je vous ai simplement vu arriver depuis ma fenêtre. Je me suis dit que si vous n'aviez rien d'urgent, alors nous pourrions profiter ensemble de la beauté de Los Angeles.

Ils déambulèrent ensemble pendant près de deux heures, discutant de tout et de rien, sans qu'ils ne soient dérangés. Ana, à qui Amara avait donné une très courte liste de courses - dont pas mal de pièces de tissu noir... - s'arrêtait de temps à autre à une échoppe et rattrapait ensuite le couple qui ne faisait guère attention au monde qui l'entourait.

Alvaro était un caballero des plus intéressants, mais il refusait de parler de sa famille. Amara n'avait pas été très directe, ni très insistante, mais elle avait immédiatement senti que le sujet était tabou. Elle lui laissa toutes les occasions d'en parler, mais il les évita soigneusement et détourna toujours le sujet. Lorsque midi vint, Amara était à la fois ravie de leur balade et frustrée de ces cachotteries. Puis, elle se calma. Après tout, s'il voulait garder cela secret, ce n'était pas forcément ni pour une mauvaise raison ni pour la vexer. Elle se devait de respecter son intimité. Lorsque midi sonna, don Alvaro s'excusa - il devait se rendre ailleurs, prétexta-t-il, très vague. Il baisa la main d'Amara et la laissa en la seule compagnie d'Ana, désormais les bras pleins de paquets. Amara l'allégea de quelques uns puis regarda partout autour d'elle.

- Aperçois-tu mon père, Ana?

- Non, señorita...

En regardant attentivement autour d'elle, Amara aperçut don Alvaro qui avait rebroussé chemin en compagnie d'un homme d'âge mûr qui semblait avoir quelque différent avec lui. Ils parlaient à voix basse, mais leurs visages étaient graves et Alvaro serrait le poing, et sa mâchoire semblait étrangement contractée. Son regard était dur et il sembla à Amara qu'elle avait vu son poing tressaillir, comme s'il se retenait de frapper l'homme auquel il parlait. Elle fronça les sourcils. Il n'y avait personne alentours, outre un serviteur qu'Amara était sûre d'avoir déjà vu. Elle n'aurait su dire s'il s'agissait d'un souvenir d'enfance ou d'une rencontre trop fraîche encore dans sa mémoire pour qu'elle s'en souvienne, mais ce petit homme replet aux habits bruns, au chapeau un peu trop petit pour son crâne et aux cheveux châtains-roux lui était vaguement familier. Il semblait, lui aussi, intéressé par la scène.

SombraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant