Amara n'avait pas chômé durant le reste de la journée. Bernardo avait insisté - Amara n'aurait jamais imaginé qu'un sourd-muet puisse être si entêté et surtout si persuasif avec ses simples mains - pour la raccompagner chez elle. Il était également porteur d'une lettre de don Alejandro pour don Eduardo. Le trajet s'était fait sans encombres et une fois le serviteur de Diego parti, Amara avait mis en place son plan.
Une fois attablée avec ses parents, elle ne toucha pas du tout à son assiette, affichant une mine plus pâle qu'à l'ordinaire, fermant les yeux plus longuement, mimant l'étourdissement. Elle porta une main à son ventre, assez discrètement pour que sa mère remarque cette exagération de politesse, et soudain arrêta de respirer, comme si une douleur centralisée l'en empêchait.
Immédiatement, sa mère comprit. Elle se leva et aida sa fille à monter dans sa chambre, préconisant un repos complet et ininterrompu. Amara murmura qu'elle se sentait mieux lorsqu'elle était absolument seule dans ces jours de douleur, et sa mère l'assura que personne, pas même Ana ne rentrerait dans sa chambre. Déjà alarmés par l'état de santé fragile de leur fille, ses parents paraissaient désormais prêts à lui accorder tout ce qu'elle voulait tant que c'était dans l'intérêt de sa santé.
Amara avait pu observer ces symptômes de menstruations particulièrement douloureuses, allant parfois jusqu'aux crampes et aux vomissements, empêchant de respirer correctement, dont avaient souffert plusieurs de ses camarades étudiantes en Espagne. Ses propres menstruations coïncidaient fort à propos avec ce besoin de sortir cette nuit, mais Amara avait la chance inestimable d'avoir des menstruations peu abondantes et absolument pas douloureuses. Elle trouva incroyablement facile de mimer la douleur, après l'avoir côtoyée pendant cinq ans en Espagne.
Elle ne se sentait pas le moins du monde coupable à l'idée de faire ainsi du souci à ses parents. C'était la parfaite couverture, et elle espérait bien qu'elle serait connue de tout Los Angeles. Peut-être même cela empêcherait-il les gens de trop s'intéresser à elle et amoindrirait sa beauté. Tant que Diego restait, que Diego acceptait de vivre avec une (fausse) femme fragile, que lui importait le reste de Los Angeles, le reste de la Californie?
Dans sa chambre, elle eut tout le temps d'observer les allées-venues des travailleurs que son père avait embauchés pour la production de son huile d'olive et de remarquer quel chemin elle pourrait prendre pour sortir par sa fenêtre sans être vue de quiconque - sa fenêtre donnait sur une pièce sans fenêtre au rez, et juste à côté, un espace de rangement plutôt bas lui permettrait de remonter en acceptant qu'elle arrive à sauter pour attraper le rebord de sa fenêtre.
Seul le terrain qui séparait la maison de la route qui menait à la forêt l'occupait. Rejoindre la forêt ne serait pas une mince affaire : elle devait longer la route pendant au moins une dizaine de minutes. En courant, peut-être pourrait-elle y arriver assez rapidement pour n'être surprise par personne.
Elle attendit que le crépuscule tombe pour annoncer d'une voix faible à sa mère qu'elle allait dormir et qu'elle ne désirait plus être dérangée, sous aucun prétexte, et revêtit son habit bleu foncé. Au clair de lune, les fils argentés qu'elle avait cousus ressortaient assez brièvement pour qu'on puisse croire à un reflet quelconque de la lune. Ses lames avaient un poids rassurant contre elle. Sa fine taille était rendue plus large grâce à son habit bouffant, et sa poitrine disparaissait complètement. Elle n'était plus la femme magnifiques que tout le monde connaissait mais une ombre sportive et filiforme. Elle se poudra complètement le visage afin de rendre sa peau mate et uniforme, d'effacer tous les traits qui pourraient la rendre reconnaissable et surtout de minimiser la forme et la couleur de ses lèvres, qu'elle trouvaient particulièrement reconnaissables avec un peu d'attention. Comme elle ne se rendait pas souvent au village et n'avait pas souvent de visite, essayant de passer le plus inaperçu possible, elle espérait que personne ne la reconnaîtrait dans ses futures actions. En réalité, Diego était sûrement l'homme le plus à même de la reconnaître.
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Sombra
FanfictionLorsque'Amara Verdana revient en Californie après cinq ans d'absence, elle n'est plus la jeune fille éprise de musique et de poésie que connaissaient ses parents. Sa fougue naturelle l'a menée à apprendre le maniement des armes, et les nouvelles ven...