Chapitre 23

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Il fut très difficile de s'asseoir à table, principalement parce qu'Adella faisait tout pour s'asseoir entre Diego et Amara, qu'en conséquence tous les Verdana retardaient le moment pour permettre au couple de s'éloigner de l'Espagnole, que don Alejandro voulait absolument être en face de don Esteban pour pouvoir étudier le personnage, et enfin que doña Margarita voulait absolument se trouver le plus loin possible de doña Amelia. Lorsqu'enfin ils s'assirent, ils avaient réussi à trouver un compromis: la señorita Adella avait pris place au bout, Amara et Diego se faisaient face, don Eduardo entre les deux Vega, sa femme, Amelia, en face de lui, à côté d'Amara. Doña Margarita se tenait à côté de mari. Laurence, en face de de Margarita, semblait plutôt triste de sa condition. Il se rassurait en voyant les oeillades que lançait Adella à Diego, se disant que ç'aurait pu être lui.

Le dîner fut pompeux, voilé d'insultes et plutôt comique pour un observateur extérieur. Le seul à sourire était Laurence, car il semblait n'être jamais la cible d'aucune remarque. Il se cantonnait à rire aux remarques des Californiens, à hausser les sourcils à celles des Espagnols, et à regarder avec plaisir sa soeur si complice avec un si bel allié commercial. La situation semblait l'enchanter, et les nombreuses excuses que Diego trouva pour ne jamais avoir à faire quoi que ce soit avec Adella le ravirent.

Les plus belles techniques élusives de don Diego furent mises à l'épreuve durant la durée entière du repas, particulièrement quand doña Margarita insista sur l'éducation parfaite des Espagnoles, et que Diego lui répondit que le plus bel exemple était Amara, qui avait passé cinq ans à étudier à Barcelone. C'était parfait; Margarita ne pouvait rien dire puisque c'était un compliment à l'éducation espagnole, mais c'était également un compliment pour Amara et non pas pour Adella, la cible première de Margarita.

Soudain, doña Margarita se leva et le silence se fit.

- Je propose un toast. Au roi!

- Au roi, répondit en choeur toute l'assemblée.

- Et à sa générosité, ajouta doña Amelia, qui va vous permettre d'avoir bientôt votre propre hacienda construite pour vous.

- A sa générosité, acquiesça doña Margarita, consciente qu'il y avait anguille sous roche.

- En effet, vous êtes particulièrement privilégiés, commença don Alejandro. C'est vrai, j'ai construit mon hacienda de mes propres mains, et j'ai vu votre père, don Eduardo - paix à son âme -, construire la vôtre. Enfin, ce n'était encore pas grand-chose avant les progrès fulgurants de votre fils! Laurence est un homme d'affaire remarquable qui sait faire prospérer ce que son père a si durement acquis! Je propose un toast à Laurence! finit-il.

Doña Margarita pouvait très clairement sentir l'insulte, maintenant. Elle sourit d'un air crispé en souhaitant ce toast à Laurence qui était hilare.

La señorita Adella leva son verre un peu plus haut que ceux des autres et prit ensuite la parole:

- Il est vrai que don Laurence a accompli un travail à la hauteur des plus grandes attentes possibles des Californiens: aggrandir une hacienda au point où l'on ne peut accueillir trois étrangers sans se sentir à l'étroit...

Alors que doña Amelia allait exploser, Diego répondit avec une amabilité presque exagérée.

- Il est vrai que chez nous aussi, la place vient à manquer. (Les Verdana eurent tous un même mouvement de haussement de sourcil, prêt à se récrier.) C'est pourquoi j'ai décidé, avec l'accord de mon père, d'avancer mon départ annuel pour San Gabriel de quelques semaines. Et puisque la señorita Adella se sent si à l'étroit dans cette magnifique hacienda, je serais plus qu'heureux de proposer à Amara de m'y accompagner.

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