Chapitre 20

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Lors de leur rendez-vous suivant, Sombra remarqua immédiatement que Zorro savait. Elle s'était préparée à tout, sauf à cela. Elle avait passé des centaines de scénarios dans sa tête, allant d'elle l'obligeant à lui révéler son identité pour lui rendre la pareille à lui lui assurant qu'il ne l'avait pas suivie, qu'elle se trompait. Aucune de ces réponses ne l'aurait satisfaite: elle ne voulait absolument pas savoir l'identité de Zorro, et elle ne l'aurait pas cru s'il lui avait assuré ne pas savoir la sienne, ce qui aurait invariablement conduit à sa perte de confiance en lui. Pour l'instant, elle dansait sur le fil du rasoir, ne sachant si sa confiance en Zorro allait tomber dans le vide ou rester en équilibre précaire sur ce fil pour ensuite être peu à peu ramené sur la terre ferme.

Aussi, quand Zorro l'attendit avec ce regard qui voulait dire qu'il savait, Sombra fut plus que surprise: elle fut confuse. Il prit la parole le premier tandis qu'elle cherchait les mots, n'en trouvant aucun qui vaille la peine d'être dit.

- Je suis désolé. Pour m'expliquer, je voulais surtout te rattraper, mais je n'ai pas été assez rapide pour arriver avant que tu ne sois hors d'atteinte. Mon intention n'était pas de découvrir ton identité... il n'empêche que les faits sont là.

- Tu aurais dû me le dire, répondit tout simplement Sombra.

Voilà, cela résumait tout: Zorro avait découvert son identité alors qu'il tentait de la rattraper, sans doute pour lui parler, et elle n'était pas fâchée parce qu'il savait qui elle était, mais par son silence sur cette information.

- Si tu veux l'équité, commença Zorro, mais Sombra l'arrêta immédiatement d'un geste.

- Il n'en est pas question, dit-elle après un court silence, un sourire se dessinant sur son visage, signe qu'elle lui pardonnait.

Elle trouvait étonnamment facile de pardonner Zorro pour quelque chose d'aussi important. Il forçait à la confiance, se dit-elle, et ce n'était peut-être pas la meilleure des nouvelles. Pour la première fois, Sombra fut vraiment soulagée d'être sûre qu'ils se battaient du même côté.

Durant leurs rondes, ils parlèrent moins qu'à leur habitude, peut-être parce que Zorro semblait plus pensif qu'à son accoutumée. Sombra se demanda si c'était parce qu'il pensait qu'au fond, elle lui en voulait encore, ce qui n'était pas totalement faux, mais elle était quasiment sûre que ce n'était pas là le noeud du problème. Zorro semblait comme pris d'une crise existentielle. Elle se demanda brièvement si cela avait un rapport avec le fait qu'elle ait refusé de découvrir son identité, mais cette idée l'effleurait à peine qu'elle la chassait: Zorro avait dit ça pour se faire pardonner, et rien d'autre, parce qu'il ne savait pas dans quel état d'esprit elle était. Il ne le lui avait pas proposé de son plein gré. Cela la conforta dans l'hypothèse que le problème de Zorro, quel qu'il soit, n'était pas relié à elle. Et pourtant, son regard avait changé. Il semblait plus profond... et plus retenu. Comme s'il voulait absolument dire quelque chose mais cherchait à la fois le bon moment pour ouvrir la bouche et les bonnes excuses pour ne jamais le faire.

Ils interceptèrent encore un vol - le dernier, se disait à chaque fois Sombra. Elle était déçue à chaque fois qu'il leur fallait intervenir, comme si elle donnait une seconde chance au monde et que celui-ci lui riait au nez. Elle se rassurait en se disant que tous les vols commis par les anciens serviteurs faisaient partie d'un complot à plus grande échelle, et qu'il n'était pas représentatif de l'humanité dans ses instincts primaires. Mais elle savait que ce n'était là que de la poudre aux yeux.

Les voleurs existaient, ce n'était pas plus difficile à comprendre que ça. Peu importe que les Espagnols soient concernés ou pas.


Les diligences qui faisaient le relais entre Boston, où les nobles espagnols avaient accosté, et Los Angeles, arrivèrent quelques jours plus tard. Tout le pueblo sortit pour l'occasion; la plupart des peònes ne savaient pas vraiment ce qui se tramait ni ce que cette arrivée en force des Espagnols signifiait. Les quelques nobles qui étaient au pueblo - dont Amara et Diego, en pleine balade, faisaient partie - s'étaient montrés beaucoup moins réjouis lorsque la cloche annonçant leur arrivée avait sonné.

SombraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant