Sombra

Chapitre 17

Amara pénétra dans l'hacienda des De la Vega, précédant ses parents. La fête avait déjà commencé; ils s'étaient mis en retard lorsqu'Amelia avait dû faire demi-tour pour récupérer son éventail qu'elle avait oublié sur le banc du patio. Elle avait refusé de prendre celui que lui proposait Amara, ce qui avait eu pour don d'énerver don Eduardo, qui faisait à présent remarquer qu'ils avaient sûrement déjà manqué la partie la plus intéressante de la soirée. Alors que doña Amelia lui rétorquait que la fête venait à peine de commencer et qu'il était ridicule à se plaindre ainsi, Amara tomba nez-à-nez avec Fernando.

Celui-ci semblait osciller entre la colère, la tristesse, et une joie débordante. Il se trouvait avec Rose-Marie, sa fiancée, qu'Amara connaissait pour l'avoir vu souvent en compagnie de son frère Laurence, avant qu'elle ne se rende en Espagne. Elle avait appris alors que l'histoire avait créé un scandale qui, depuis, avait entériné toute relation commerciale possible entre don Miguel, le père de Rose-Marie, et don Eduardo, au grand dam de ce dernier.

- Amara, quel plaisir de te revoir enfin!

- Fernando, dit simplement Amara tandis que le caballero ouvrait les bras en grand devant lui et l'embrassait fugacement.

- Tu es bien rentrée au bon moment... Zorro qui revient, le commandante, l'Ange... Tu sais, cet enfant m'a sauvé la vie. C'est vraiment... il mérite ce surnom.

- Ce n'est pas toi qui le lui a donné? répondit Amara avec un petit sourire.

Amara savait que malgré les circonstances du baptême de Sombra en l'Ange de Los Angeles, il n'était pas question de parler de son frère, Rodrigo.

- C'était ma mère, corrigea-t-il, mais elle a eu là une révélation. D'ailleurs, elle n'a pas pu venir ce soir, mais elle m'a chargé de te dire qu'elle était ravie de te savoir de retour... et surtout en si bonne compagnie, ajouta Fernando d'un ton complice tout en regardant don Diego qui se tenait non loin d'eux.

- Comment ta mère a-t-elle appris ça? demanda Amara, les yeux ronds.

Elle ne s'était jamais rendu compte d'à quel point les rumeurs circulaient vite à Los Angeles, mais après tout, c'était évident: avec les nouvelles de Zorro qu'il fallait faire circuler vite, sans doute ajoutait-on aux nouvelles justicières les quelques nouvelles du pueblo; untel allait se marier, untel allait partir en Espagne... Il n'était pas étonnant, somme toute, que le caballero le plus riche de la région, et surtout, aux yeux d'Amara, le plus intéressant, soit au coeur de ces rumeurs de temps à autre.

Rose-Marie s'excusa et disparut dans la foule, ayant remarqué quelqu'un. Elle et Amara ne s'étaient jamais vraiment entendu, sans doute parce que Rose-Marie n'avait pas apprécié l'influence qu'avait Amara sur son frère. Fernando se pencha alors vers Amara pour lui chuchoter:

- Don Diego et la plus belle señorita de Californie? Et tu penses que ma mère passerait à côté d'une telle nouvelle?

Il lui fit un clin d'oeil. Sûre qu'il avait attendu le départ de sa fiancée pour lui faire cette confidence, Amara éclata de rire.

- Flatteur, comme toujours. Tu m'avais manqué, Fernando.

- Il s'agira de nous revoir un peu plus souvent.

- Mais, au fait... où est ton père?

- Il s'est rendu à Monterey il y a de ça quelques semaines, pour affaires. A propos, je te félicite pour les vôtres: l'hacienda m'a semblé bien agrandie la dernière fois que j'y suis passé! Il s'agira bientôt de changer la nôtre, par ailleurs...

Don Fernando sembla soudain iplus sombre, mais, avant qu'Amara ait pu dire quoi que ce soit, don Eduardo les interrompit pour prendre Amara à part. Fernando la salua et retourna auprès de Rose-Marie tandis qu'Amara, surprise, suivait son père. Il l'emmena légèrement à l'écart. Amara remarqua du coin de l'oeil que Diego, qui s'était dirigé vers elle avec un sourire aux lèvres, s'était soudainement arrêté, semblant remarquer que la discussion était privée.