Sombra

Chapitre 12

Le lendemain, en se réveillant, Amara se prépara comme à son habitude, fit ses ablutions avec plus de lenteur, se débarrassa du sang qui avait coulé durant la nuit et, sans un regard pour la cachette où se trouvait son costume de Sombra, elle descendit retrouver ses parents. Ceux-ci parurent ravis de la voir en meilleure forme et elle s'autorisa même à manger un peu plus que la veille. A vrai dire, elle mourrait de faim, mais ne pouvait cesser la comédie maintenant, au cas où elle en aurait besoin à l'avenir.

Elle passa la journée à lire dans le patio. L'histoire était un classique qu'elle avait déjà étudié en Espagne sans l'avoir jamais lu, et elle se fit un plaisir d'enfin comprendre ces théories qui n'avaient guère fait sens pour elle à l'époque. Lorsqu'elle parvint au premier quart du lourd volume, elle entendit des bruits de chevaux qui lui parvenaient depuis la route qui les raccordait à la piste reliant Los Angeles et Santa Monica. Elle se dit qu'il devait être plus de midi car sa mère lui avait apporté quelques fruits une heure environ auparavant.

L'on toqua à la porte et Amara laissa une servante ouvrir, mimant toujours une faiblesse augmentée de douleurs passagères - état que supportaient beaucoup de femmes mais dont elle n'avait personnellement jamais fait véritablement l'expérience.

Don Diego fit son apparition, accompagné comme toujours de son fidèle serviteur, Bernardo. Ana rejoignit à ce moment-là sa maîtresse, une décoction préparée par l'une des servantes les plus âgées à la main - un remède de grand-mère qu'Amara allait se forcer à prendre malgré son inutilité la plus complète. Elle se sentit humiliée que Diego la visse dans cet état et refoula ce sentiment, le cachant par un sourire qu'elle voulut impassible.

- Diego! Quelle agréable surprise. Comment se sont passées vos affaires à Los Angeles?

Diego parut réfléchir un instant. Amara fut surprise de découvrir qu'il ne régnait plus la même tension que celle qui les avait auréolés lorsqu'ils s'étaient embrassés, la veille. Elle s'inquiéta alors immédiatement, cherchant à savoir pourquoi cela avait changé, si cela venait d'elle ou de lui, s'ils allaient ignorer cet événement pourtant si...

- Amara, je vous ai dit un jour que je me tournerais vers vous en période de doutes, et je crois que cette période est déjà arrivée... mais je ne voudrais pas risquer de vous inquiéter... êtes-vous malade? ajouta-t-il après un léger silence.

Surprise, Amara ne répondit pas tout de suite. Était-ce pour cela que tout semblait changé? A cause de ces doutes?

- Oh, non, rien de grave, sinon mes parents ne me laisseraient pas avoir la moindre visite, je vous assure. Mais je puis vous assurer que quelque sujet d'inquiétude ne troublerait guère mon repos.

Diego sourit et s'assit à côté d'Amara, sur le banc. Il avait une attitude à la fois de distance et de rapprochement, comme s'il préférait entretenir le jeu plutôt qu'arriver à un compromis pacifique. Et pourquoi pas? décida alors Amara.

- Vous m'en voyez rassuré, dit-il en parlant tout autant de la santé que de l'assurance d'Amara. Puis, il reprit, après un silence: « Hier, dans la journée, le commandante Licerio a reçu d'Espagne, par le dernier navire, la nouvelle de l'arrivée prochaine de nombreux nobles espagnols venus assainir le sang californien désormais trop... païen. Le commandante demande à mon père de réunir leurs efforts - et ceux des autres rancheros ralliés à la famille Vega - pour faire son possible pour rendre la vie infiniment plus aisée aux Espagnols nouveaux venus. Ordre, subordination, respect des règles et de la morale... enfin, plus de remous, plus de contradictions au pouvoir militaire de l'Empire espagnol. »

Amara resta sans voix. Diego la fixait, apparemment avide de savoir comment elle réagirait.

- Evidemment, les Espagnols auraient intérêt à ce qu'il règne en Californie un état d'instabilité assez prononcé pour qu'ils puissent instaurer leur autorité afin de purger le pays tout en s'assurant du maintien du joug espagnol, finit-elle par déclarer. Vous étiez en Espagne, vous aussi... vous savez ce qu'ils pensent de nous...