La serveuse était en train de préparer le restaurant pour le service du soir lorsqu'elle vit passer sous ses yeux un Rhys au regard polaire, tenant par le cou un jeune homme qui couinait de douleur.
Andrea eut à peine le temps de lui jeter un regard implorant. Rhys ouvrit en grand la porte de l'arrière salle pour le jeter dans la réserve.
Le dos d'Andrea heurta de plein fouet une étagère. La douleur lui coupa le souffle une courte seconde et le choc fit vaciller quelques boîtes sur les étagères, qui tombèrent dans une cacophonie de métal et de carton défoncé.
– Maria, appelle Bernard, lança Rhys à l'adresse de la serveuse. Dis-lui que c'est urgent.
Il claqua la porte de la réserve sans laisser la possibilité à la jeune femme de répondre. Puis il souleva l'un des pans de sa veste pour en sortir une arme dont il pointa le canon entre les deux yeux d'Andrea.
– Maintenant, t'arrêtes tes conneries, et tu me dis pour qui tu travailles.
La bouche d'Andrea s'assécha alors que son regard s'accrochait au cylindre de métal noir tendu dans sa direction.
Il s'était pourtant préparé à ce moment. Ce n'était pas la première fois qu'on le menaçait, durant sa courte vie dissolue. Il s'était parfois mis lui-même en danger, pour se rappeler de ce que ça faisait de sentir sa vie en tenir en équilibre, apprivoiser cette sensation de vide qui lui tordait l'estomac et ce poids qui lui comprimait la poitrine.
Il ne pouvait pas dire que c'était facile et qu'il n'avait pas peur. Mais il avait longtemps redouté de perdre tous ses moyens et de rester tétanisé si on braquait sur lui un pistolet chargé.
Il savait désormais qu'il était capable de rester à peu près maître de lui, et ce simple sentiment de contrôle le galvanisait.
– Je travaille pour personne, répondit-il après un moment d'hésitation.
Il fixait le canon de l'arme plutôt que le regard menaçant de Rhys, les paupières basses, le corps tendu.
Andrea était trop loin pour tenter de se redresser et de le désarmer. Mais Rhys était suffisamment près pour pouvoir lui faire un troisième œil juste au-dessus du nez. Il retira d'ailleurs le cran de sûreté en prenant une profonde inspiration.
– J'ai assez entendu tes embrouilles. Tu me dis la vérité maintenant ou tu sors pas d'ici vivant. C'est qui qui t'a envoyé ? Les Bolgalone ? Les triades ?
Sans le quitter des yeux, Andrea recula lentement pour mieux caler son dos contre l'étagère qui lui défonçait la colonne vertébrale. Le sol était glacé et jonché de pâtes renversées. La réserve sentait les épices, avec quelques relents d'odeur de cuisine.
– Personne, répéta Andrea en avalant sa salive. Je travaille que pour moi. Je suis pas un espion.
Plus la patience de Rhys diminuait, et plus ses sourcils se fronçaient. Andrea n'osait même pas imaginer quel genre de films il était en train d'imaginer sur son compte. Cette fois, il avait peut-être été victime de son excès de confiance. Il avait surestimé la patience de Rhys, et n'aurait jamais cru se retrouver si vite menacé.
– Et tu vas me faire croire que t'as été embauché comme ça au Wooden Lodge ? Que t'as même pu fouiner comme ça sans te faire prendre ?
Andrea faillit lui rappeler qu'il n'avait fait qu'un soir d'essai et qu'il n'avait pas vraiment eu à fouiner, mais il eut la présence d'esprit de garder la bouche fermée – au moins le temps de trouver quelque chose qui servirait vraiment à le défendre, au lieu de précipiter sa mort.
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Omerta
Mystery / ThrillerLa ville d'Agarèze appartient au Cerbère, une organisation mafieuse qui règne au grand jour. Rhys fait partie de la famille Valira depuis l'adolescence. Il leur a sacrifié sa vie, ses ambitions et ses rêves, et il serait prêt à le refaire sans hésit...