Chapitre 9 - 1/3

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Andrea garda le nez collé à la vitrine du glacier tandis que Rhys serrait le poignet de la vendeuse. L'écusson Valira était accroché en retrait sur le mur, derrière le tiroir-caisse.

Andrea baissa le nez pour faire le tour des bacs à glace derrière le présentoir. Les volutes de la crème glacée le mettaient en appétit, réveillant des souvenirs d'enfance qu'il croyait enfoui. Il fit mine d'hésiter longtemps pendant que Rhys discutait avec la serveuse. Mais cette dernière n'avait rien à dire, hormis que certains hommes des Bolgalone étaient devenus sacrément gonflés et qu'elle avait hâte que la saison touristique commence.

– Je trouve qu'elle a déjà l'air bien commencée, commenta Andrea en donnant un grand coup de langue sur sa boule de sorbet à la cerise.

Cône à la main, il s'éloignait avec Rhys dans les petites rues piétonnes. Ce dernier dû avaler son morceau de glace au chocolat avant de pouvoir lui répondre.

– Non, là, c'est encore tranquille. C'est quand l'été revient que ça devient vraiment invivable. Y a tellement d'étrangers que t'entends même plus parler européen dans les rues.

– Et tous les glaciers de la ville sont des indic' du Cerbère ?

Ils flânaient dans un quartier paisible en bordure du vieux centre-ville, à l'abri du vent frais que ramenait la mer. Andrea trouvait que pour la saison, il y avait pas mal de monde qui se promenait dans les rues. Même les locaux profitaient de la douceur du printemps.

– Non. Juste ceux qui sont bien placés.

Andrea lui jeta un coup d'œil circonspect. Sa glace lui donnait des frissons et lui remplissait la bouche d'un parfum sucré.

– On est un peu loin de Manyaval, tu ne crois pas ?

Il savait que le quartier dont avait parlé Bernard était au nord de la ville, assez loin du vieux centre et de ses rues en pierre.

– C'est pas la distance géographique qui compte, répondit Rhys. Ici, tout est connecté. Tu ne peux pas faire quelque chose à un endroit sans que ça fasse des remous ailleurs. Il suffit de trouver la personne qui a vu passer les bonnes vagues.

Andrea le regarda longuement, croquant le cône de sa glace par petit coups de dents prudents.

– Jolie métaphore. Je ne te savais pas poète.

Il se baissa pour esquiver une tape sur le crâne, et Rhys continua son chemin en mangeant en silence, faussement vexé.

– Au fait, j'ai rencontré Sven, ce matin. Je ne savais pas que tu avais une aide-ménagère.

– Elle ne travaille pas pour moi, répondit Rhys. Elle m'aide à garder la maison en état, c'est tout.

Elle. Andrea fut rassuré. Il avait eu peur de faire un impair face à Sven.

– Ah. J'ai pas osé lui demander quel pronom utiliser. J'avais peur de faire une bourde.

Rhys haussa les épaules.

– Elle a préféré garder son prénom de naissance. Ici, c'est pas très commun. Y a un paquet de gens qui percutent même pas que c'est un prénom de garçon, alors elle dit qu'elle a pas vraiment senti le besoin de changer.

Andrea sourit par-dessus sa glace.

– Ouais, je comprends l'idée.

Ce n'était pas tout à fait la même chose, mais il avait mis tellement d'années à assumer son prénom qu'il pensait voir ce qui avait pu motiver Sven derrière ce choix.

OmertaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant