Omerta

Chapitre 4 - 3/3

La serveuse déposa la tasse sur la table basse et glissa à côté le ticket de l'addition. Elle resta à côté le temps qu'Andrea sorte de quoi payer, l'air aimable.

– On s'est vu hier soir, non ? T'es pas le nouveau serveur du Wooden Lodge ?

Andrea redressa aussitôt la tête, les yeux ronds comme sa tasse de café, puis lui adressa un lumineux sourire. Il reprit sa recherche de monnaie au fond de son sac à dos.

– Ouais, c'était moi. Mais je suis encore à l'essai, dit-il en lui tendant l'appoint. T'y vas souvent ?

La jeune fille calla le plateau sous son bras, pas décidée à s'en aller tout de suite. Elle portait des boucles d'oreilles en forme de fraises.

– On y va faire un tour de temps en temps après le service, avec des collègues du quartier. T'habite dans le coin ? Tu bossais où avant ?

– En fait, je viens de Tripoli, répondit Andrea. Mais la saison commence plus tôt ici, alors c'est plus intéressant.

Il pensait que satisfaire la curiosité de la jeune fille la ferait déguerpir, mais il ne fit que piquer son intérêt. Elle le dévisagea avec un air surpris.

– Tu viens de Tripoli et tu as atterri au Wooden Lodge ?

Andrea compris qu'il avait bourdé. Il tenta de se rattraper avec son plus beau sourire.

– J'ai bossé dans un club à Tripoli l'été dernier, et le patron est un pote. J'suis un peu pistonné, dit-il avec un clin d'œil. Mais je ne suis pas encore embauché, j'aurais la réponse demain.

Il ne pouvait décemment pas lui dire qu'il ne devait son essai qu'à l'écusson de la famille Valira qu'il avait dérobé à Rhys sur le tableau de bord de sa voiture. Sur le coup, il n'était pas vraiment sûr de savoir à quoi lui servirait. Il l'avait pris parce qu'il était à sa portée, en se disant que ça pourrait servir. Ça avait effectivement été le cas, mais pas dans le sens qu'il imaginait. Il pensait d'abord l'utiliser pour faire pression sur les patrons du Wooden lodge et se faire passer pour un véritable habitant d'Agarèze. Il était persuadé qu'un club comme celui-là n'engageait que les personnes que l'organisation lui dirait d'embaucher.

Pourtant, l'écusson s'était révélé très utile, une fois glissé dans la sacoche de son principal concurrent pour le job. Et si on lui avait finalement fait passer une soirée d'essai, c'était précisément parce qu'il était un étranger originaire de Tripoli. Ils avaient même pris tout le temps nécessaire de vérifier qu'il ne leur racontait pas d'histoires.

La jeune serveuse eut l'air de se contenter de l'explication, car elle se détendit aussitôt.

– Ah, ouais, je comprends mieux. Parce que pour bosser là-bas...

Elle ne termina pas sa phrase, semblant se rappeler qu'Andrea était un étranger et pas un de ses amis saisonniers. Le jeune homme était pourtant quasiment certain que la suite de sa réponse aurait contenu le mot « Cerbère ».

– Mais j'espère que tu seras pris. Tu verras, les gens sont sympas dans le quartier.

Ils n'eurent pas le temps d'en discuter plus longtemps. Deux hommes en costume bousculèrent les tables de la petite terrasse, encore tranquille à cette heure de creux de l'après-midi. La serveuse se crispa en les voyants, et l'un d'eux lui adressa un regard mauvais pour la dissuader de les aborder.

Près de l'entrée, le patron du bar ne cacha pas sa surprise et se raidit distinctement derrière son comptoir.

– Qu'est-ce que vous foutez là ? Vous vous êtes perdu dans la vieille ville ?